Instruments de musique | Picard, François

Instruments de musique 711 l’Europe et toute l’Asie, instrument principal des musiques persane, turque, à la cour des Tang, transmise au Japon, pour ne subsister que dans l’Europe classique et en Birmanie. On va alors chercher du côté du kânûn , cithare à cordes pin- cées dont le nom arabe dit la provenance grecque et le sens : « normatif, régula- teur ». Mais l’instrument n’a atteint la Tunisie et le Maroc au plus tôt qu’à la fin du xix e siècle, les îles l’ignorent (Malte, Chypre, la Crète, la Corse, la Sardaigne, la Sicile), comme la Grèce après l’Antiquité. Gigue et vièle, rebec, lira , violon, rabâb , les luths à cordes frottées se sont implantés ici et ont rayonné au point de porter les danses de tarentelle et la musicalité elle-même. Mais l’archet semble bien n’être apparu qu’en un seul endroit, quelque part au nord de la Chine, à l’époque Song, pour se répandre très rapidement, puisque le premier archet attesté par l’archéologie, daté du xi e siècle, a été exhumé à Dublin, tout en étant d’origine hiberno-scandinave. On dit encore que la Méditerranée est ce lieu où les pâtres charment bêtes et hommes de leurs flûtes de roseau, syrinx au doux son charmeur. Mais ici, les analogies symboliques renvoient autant à l’Inde et à Krishna qu’à la Grèce et à Pan. Rien de bien spécifique ni dans l’assemblage de tuyaux de différentes longueurs – on en trouve sur tous les continents, Chine, Amérique du Sud, Océanie, Afrique –, ni dans le tuyau percé de six trous de jeu et insufflé latéra- lement, quasiment universel. Au contraire de ces marqueurs forts peu justifiés par l’histoire, la Méditerranée réelle a donné à l’Asie orientale de l’époque Tang le hautbois à perce cylindrique et plusieurs siècles plus tard le hautbois à perce conique (mizmâr/zurna, suona, t’aep’yŏngso) . Les seuls endroits du monde où l’on a trouvé et trouve encore des hautbois (anche double) à perce cylindrique sont en effet l’Arménie (duduk) , la Turquie ( balaban chez les Kurdes mais aussi çam sipsi chez les pasteurs récem- ment sédentarisés des yayla ), la Chine (bili, guanzi) , la Corée (p’iri) et le Japon (hichiriki) . Cet instrument est un bon candidat pour personnifier l’ aulos antique, à égalité avec la clarinette (anche simple, perce cylindrique) simple ou double que l’on trouve encore sous la forme des launeddas de Sardaigne. Le hautbois à perce conique et à pavillon (mizmâr/zurna/ghaita) s’est répandu depuis la Rome hellé- nistique (Vigna Amendola, sur la Via Appia) jusqu’en Afrique subsaharienne et en Asie orientale et du Sud-Est. Si la première représentation hors Méditerranée (dans l’actuel Turkestan chinois), vers le iv e siècle apr. J.‑C., est sans doute liée à l’expansion de la culture gréco-bouddhique du Ghandara, il faudra attendre un millénaire pour qu’une nouvelle introduction, probablement avec l’islam, amène à l’adoption du suona en Chine, devenu t’aep’yŏngso en Corée, et l’instrument se retrouve avant les grandes expéditions coloniales en Inde, au Tibet, en Indonésie, au Vietnam, aux Philippines, et avec l’islam au Tchad, au Nigeria, au Niger.

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