Instruments de musique | Picard, François

Instruments de musique 712 Dans la catégorie actuelle « instruments du monde », les « instruments de musique du bassin méditerranéen » sont représentés (catalogue Fuzeau) par les tambours en gobelet à une peau frappés avec les doigts (darabukka) , peu pré- sents auparavant en Europe, plutôt que par les tambours sur cadre à cymbalettes, pourtant également très présents dans toute la Méditerranée. L’omniprésent tam- bour à deux peaux lacées tabl , partenaire obligé des duos des fêtes davul-zurna , est le marqueur des fêtes et des processions, lié pour les musulmans à leurs pra- tiques, de Serbie jusqu’au Maroc et au Liban, mais largement partagé avec les chrétiens orientaux, Arméniens, juifs d’Odessa ou de Thessalonique. Mais cet assemblage certes probablement d’origine méditerranéenne se trouve dans toute l’Asie centrale, méridionale et orientale (hormis le Japon). En deçà des objets, le roseau est évidemment un bon candidat comme mar- queur territorial, le roseau du Var donne le meilleur matériau du monde pour les anches de clarinette, et la canne de Provence fournit des tuyaux creux, aisément perçables, de dimensions variables. Mais la Chine, avec la légende de Ling Lun et de ses lülü , comme les Andes autour du lac Titicaca n’ont eu besoin d’aucun apport extérieur pour développer des instruments similaires. L’attribution des instruments en fonction d’une division en genres hommes/femmes est largement observable tout autour de la Méditerranée, avec l’exclusion générale des femmes, le plus souvent cantonnées aux voix, danses et claquements de mains ou de pieds. Notons cependant leur utilisation spécifique de tambours sur cadre, souvent carrés, chez les Berbères du Haut-Atlas (duff) ou au Portugal (adufe) . Dans le domaine religieux, plus on s’approche du rituel, moins les instru- ments mélodiques sont acceptés, plus on part en procession et plus on les réclame. Les idiophones frappés (cloches) sont souvent plus religieux que les membra- nophones (tambours), plus liés au paraliturgique (confréries). Le cas de l’orgue, dont l’origine est méditerranéenne (on évoque l’hydraule grec et romain), qui de Bagdad passa à Chang’an, est particulier puisqu’il fut exclusivement chrétien ou laïc avant d’être adopté au xix e siècle par les juifs comme instrument du culte moderne, puis rejeté à la fin des années 1960. On s’interrogera pour savoir si l’opposition des espaces réels et symboliques entre hauts instruments (bruyants) et bas instruments (doux) est française, euro- péenne, méditerranéenne, et l’on constatera que la Chine oppose les mêmes sonorités, les mêmes groupes en grossiers (cu) et fins (xi) . On conclura que les oppositions entre instruments sont universellement à disposition pour marquer des distinctions entre nous et eux, d’ici et de là-bas, hommes et femmes, ordi- naire et exceptionnel, religieux et profane, liturgique et paraliturgique, et que, ici comme ailleurs, des pasteurs, agriculteurs ou ouvriers illettrés jouent des

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