Imprimerie | Cohen, Anouk

Imprimerie 693 question de son adoption divise les différents courants de l’islam. Tandis que pour les musulmans traditionalistes (notamment au Maghreb), l’imprimerie ris- querait de porter atteinte à la réception correcte du Coran, pour les musulmans réformistes, elle permettrait au contraire d’étendre sa diffusion. C’est lorsque l’islam commence à être menacé par la propagande religieuse catholique et pro- testante que les musulmans adoptent les techniques d’impression. Dès lors, l’im- primé devient une arme de défense de la foi musulmane. Au début du xix e siècle, l’imprimé joue un rôle essentiel dans la naissance du mouvement réformiste musulman au Caire (Cole, 2002). La prolifération des copies lithographiées du Coran – préférées aux copies typographiques qui ne permettent pas de conserver l’écriture manuelle – à un prix abordable élargit sa diffusion aux classes populaires dont l’accès au Coran était jusqu’alors princi- palement fondé sur l’écoute et la mémorisation. Les fidèles peuvent désormais accéder au texte révélé librement et directement, sans la médiation de commen- tateurs, généralement membres de l’élite religieuse et politique. Les fidèles sont en outre capables d’indexer et d’examiner le Coran avec précision. Enfin, la pos- sibilité de consulter un nombre croissant d’imprimés leur permet de comparer et de critiquer les textes classiques, de discerner les conflits et les divergences parmi les écoles de pensée, et d’en sélectionner certains principes pour développer une nouvelle approche de l’islam : un islam fondé, dans le cas des musulmans réfor- mistes, sur un retour aux sources originelles et une standardisation et une ratio- nalisation de nombreux domaines de pensée religieuse tels que la loi islamique. La seconde moitié du xix e siècle est marquée par une large diffusion de l’édu- cation et la modernisation de la langue arabe, initiée par les journalistes et les éditeurs. L’impression des textes classiques arabes les pousse à entreprendre une standardisation grammaticale qui mène, à la fin du xix e siècle, à la réforme de l’arabe classique (fusha) (Cole, 2002). Ce renouveau linguistique inaugure une « renaissance littéraire » (Nahda) qui contribue à l’émergence d’une conscience nationale et d’un sentiment de distinction culturelle par rapport à l’Empire otto- man (Atiyeh, 1995). Enfin, la croissance quantitative de livres répondant aux besoins des lecteurs plus nombreux va de pair avec une diversification des sujets. À la fin du xix e siècle, Beyrouth compte un grand nombre d’imprimeries et représente le centre de production du livre arabe. Des facteurs politiques, on l’a dit, et économiques expliquent cette situation. Contrairement aux autres provinces de l’Empire, l’imprimerie est portée par des individus et des institutions plutôt que par l’Administration, ce qui permet une amélioration rapide de la qualité des livres et des procédés d’impression (Atiyeh, 1995). Néanmoins, la diffusion du livre n’y est pas mieux organisée que dans le reste de l’Empire. Les ouvrages sont généralement vendus dans des boutiques non spécialisées ou directement

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