Imprimerie | Cohen, Anouk

Imprimerie 692 Les juifs sont les premiers à ouvrir des imprimeries à Constantinople et à Salonique à la fin du xv e siècle. Ils sont suivis tardivement par les Arméniens (1567) et les Grecs (1627) (Mermier, 2005) . Dès 1578, le Collège maronite de Rome invite, quant à lui, de jeunes clercs de la communauté maronite libanaise à fréquenter les collèges romains afin d’y étudier le nouvel art. À son retour, l’un d’entre eux rapporte une imprimerie au couvent Saint-Antoine de Quzhaya où est imprimé, en 1610, le premier livre au Liban : un psautier composé en carac- tères syriaques (caractères permettant de transcrire l’arabe) et carsuni (Nasrallah, 1951). Ce n’est qu’un siècle plus tard, en 1704, qu’une imprimerie arabe est établie à Alep, troisième ville de l’Empire ottoman (1299‑1923). Au cours du xviii e siècle, la production de livres connaît un renouveau significatif grâce à l’établissement de nouvelles écoles au Liban, qui jouit d’un système politique plus libéral que les autres provinces de l’Empire. Missions protestantes et congrégations catholiques établissent des imprimeries pour répondre aux besoins des écoliers. Dès lors, l’édu- cation et l’imprimerie deviennent des terrains d’affrontements privilégiés entre jésuites et protestants pour étendre leur influence dans la région (Atiyeh, 1995). En 1726, les musulmans fondent leur première imprimerie à Istanbul qui publiera 21 ouvrages jusqu’à sa destruction en 1787 (Gdoura, 1985). L’imprimerie s’implante donc plus vite et plus intensément dans la population chrétienne et juive que musulmane, pourtant largement majoritaire à la fin du xv e siècle. L’adoption tardive de l’imprimerie dans le monde islamique tient à plu- sieurs facteurs, d’abord politiques : les sultans Bayezîd II en 1485 et Selîm I er en 1515 interdisent aux musulmans d’imprimer des textes en arabe et en turc dans l’Empire et ses provinces. Puis économiques : les copistes constituent une puissante corporation et une source de revenus importante (Berthier, Héricher et Zali, 2005). Cependant la résistance à imprimer dans la langue du Coran est surtout de nature religieuse et culturelle : l’élite des oulémas, docteurs de la loi, craint que le Livre soit altéré par sa reproduction technique à l’origine d’erreurs dans les premières éditions imprimées du texte original en Europe au xvii e siècle. En outre, les oulémas redoutent que la standardisation de l’imprimé bouleverse le système de transmission du savoir oral au fondement de leur autorité. Au cœur de ce système de transmission se trouve le Coran – que l’arabe désigne par qur’an pour ne pas confondre la révélation avec son support, mushaf (« volume »). Les musulmans sont profondément conscients de ce statut qui fait du Coran un livre à part, le Livre de Dieu : al-kitâb Allah . C’est pourquoi, ils s’efforcent d’apprendre un maximum de sourates par cœur, en les répétant à la suite du professeur. Jusqu’au xix e siècle, les musulmans privilégient la transmis- sion orale et directe « d’hommes à hommes » (Robinson, 1993), seule manière de transmettre la pensée originale d’un auteur et la vérité d’un texte. La repro- duction technique frappe au cœur de ce système de transmission si bien que la

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