Honneur | Rebucini, Gianfranco

Honneur 645 Le complexe honneur/honte a donc été remis en discussion en raison de l’im- possibilité ou de l’approximation des comparaisons de la première anthropologie de la Méditerranée. Michael Herzfeld (1987) a d’ailleurs considéré que la construction du complexe de l’honneur et de la honte avait été l’un des outils majeurs par les- quels les anthropologues de l’Europe du Nord et des États-Unis ont margina- lisé et stéréotypé le monde méditerranéen. Ce système et code de valeurs devrait donc être vu comme faisant partie d’une discipline anthropologique « médi­ terranéiste » qui, à l’instar de l’orientalisme, aurait contribué à isoler et à rendre exotique cette aire culturelle, colportant aussi l’hypothèse que cette région demeu- rerait en quelque sorte invariablement arriérée par rapport à l’Europe du Nord. Plus récemment, deux historiens (Horden et Purcell, 2000) ont essayé de rou- vrir le débat sur la centralité du code de l’honneur dans l’unité culturelle de la Méditerranée, en se concentrant notamment sur les analyses anthropologiques. Pour ces deux auteurs, en dépit des différences de lexique et de terminologie dans les divers contextes sociaux et culturels, une unité indéterminée, fondée sur des ressemblances de famille concernant l’honneur et la honte, pourrait être envisagée dans le pourtour méditerranéen. Pourtant, cette tentative historique de renouvellement, bien que répondant dans les détails aux détracteurs du concept d’honneur comme élément unificateur, ne tient presque pas compte des cri- tiques venues de l’anthropologie des émotions (Abu-Lughod, 1986) et surtout des études féministes et du genre (Lindisfarne, 1994). Lila Abu-Lughod (1986) a contesté la vision totalisante de l’honneur en tant que code moral genré, en démontrant que, chez la tribu bédouine qu’elle a étu- diée, l’honneur et la honte font partie tant de l’ordre moral des hommes que de celui des femmes dans leur vie quotidienne. De surcroît, l’ensemble des idées associées à l’honneur et à la modestie ne peut pas être vu comme une explica- tion universelle des comportements et des sentiments, mais plutôt comme un idéal que les acteurs sociaux respectent et ménagent, ou contre lequel ils peuvent se révolter. Ainsi, il résulte que les concepts d’honneur et de modestie ne sont pas toujours des termes opposés, mais qu’ils interagissent dans un système hié- rarchique complexe de relations sociales et de pouvoir. Plutôt que les relations entre les genres, l’indépendance, l’autonomie et le respect sont des catégories qui expliquent mieux les aspects symboliques et pragmatiques du complexe de l’honneur. Allison Lever (1986) a aussi montré comment l’emphase donnée au sys- tème moral de l’honneur, en détournant l’attention des vrais clivages de classe ou de genre, a constitué une diversion qui a dissimulé les relations historiques complexes et hétérogènes entre les cultures locale et nationale dans une société particulière (p. 104).

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