Esclavage | Tuccillo, Alessandro

Esclavage 505 Il n’est pas question d’émettre un avis sur des études qui nous ont permis sans doute d’avancer dans notre connaissance du monde antique, particulièrement l’historiographie marxiste. Toutefois, on comprend aisément qu’aussi bien l’ap- proche traitée par Moses I. Finley de « morale ou spirituelle », que celle qui met l’accent sur l’évolution des systèmes économiques et des rapports de dépendance correspondants (de l’esclavage au travail salarié en passant par le servage médié- val) ne pouvaient pas représenter des repères pour conduire des recherches sur les formes de l’esclavage dans la Méditerranée médiévale et moderne. En dehors de la période antique, les esclaves paraissaient « invisibles » car l’esclavage ne pou- vait en principe pas exister ; il n’était conçu que dans un espace et dans un temps tout à fait étrangers, à savoir les colonies européennes en Amérique, constituées à partir du xv e siècle. La société antique et celle américaine des mines et des plan- tations à esclaves étaient représentées comme les seuls modèles d’un système éco- nomique et social structuré sur l’esclavage, en raison du nombre d’esclaves et de leur fonction économique. Par conséquent, les esclaves qui apparaissent après le v e siècle sur la scène historique méditerranéenne deviennent sur la côte nord-­ occidentale une survivance marginale du passé dépourvue de son ancienne cen- tralité, sur la côte méridionale et orientale, des individus soumis à un régime de dépendance personnelle modéré, typique du monde musulman et sans analo- gie avec les formes occidentales antiques et modernes. Ce schéma a été à la base de recherches fondamentales, mais il est trop rigide une fois que l’on se penche sur la complexité des stratifications sociales propres à tout contexte historique, des discordances possibles entre statut juri- dique cristallisé par la loi (la formule citée des Institutiones en est un exemple), rémunération du travail et conditions de vie effectives. D’ailleurs, une lecture linéaire des transformations des rapports de dépendance tranche visiblement avec la longue persistance de l’esclavage dans le bassin méditerranéen, laquelle a été mise en évidence par plusieurs historiens (Bono, Fiume, Guillén, Heers, Stella, Verlinden, Vincent, etc.). Néanmoins, la présence d’esclaves, à travers les siècles jusqu’à la période contemporaine, n’autorise pas à qualifier l’esclavage d’élément structurel immuable à l’histoire de la Méditerranée. Au contraire, les caractères et l’influence de l’esclavage dans la société sont liés aux conjonctures politiques, sociales, économiques. En fait, si la privation de la liberté et le prin- cipe général de réduction de l’homme à l’état d’objet sous la domination d’un maître jalonnent la continuité qui nous permet de questionner le phénomène sur la longue période, les typologies des protagonistes (maîtres, esclaves et mar- chands), l’entité et les modalités d’emploi des esclaves, d’approvisionnement et de vente, les flux commerciaux, les niveaux d’exploitation du travail et des contraintes extra-économiques changent sans cesse. Cela requiert, d’une part, une certaine prudence face aux comparatismes totalisants qui ont tendance

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