Esclavage | Tuccillo, Alessandro

Esclavage 506 à construire des modèles de dépendance esclavagistes abstraits de l’histoire ; d’autre part, l’abandon d’un plan d’analyse où toutes les continuités seraient inadmissibles. Comme le propose Claude Meillassoux, la définition de l’escla- vage passe par l’« état » et la « condition » de l’esclave, c’est-à-dire par les élé- ments de dépersonnalisation et par la condition matérielle dérivant du travail. C’est au croisement de ces deux facteurs dans une période donnée que se révèle la dimension historique de l’esclavage. Depuis l’Antiquité, la guerre a été la source fondamentale d’approvisionne- ment en esclaves. Codifiée par le droit romain comme institution de droit des gens (ius gentium) , la réduction en esclavage des prisonniers de guerre concerne dans son essence l’expérience de l’altérité. La dépersonnalisation de l’esclave passe, en effet, par l’insertion violente dans un milieu social qui lui est étran- ger et qui le considère comme étranger. Et c’est sur cette exclusion à l’intérieur de la communauté que se construit l’image de l’esclave comme dernier échelon humain. La communauté se sent légitimée à utiliser ces personnes – et leur des- cendance dans le cas des femmes – puisqu’elles sont les ennemies, les barbares soumis en raison de leur infériorité perçue comme naturelle (Aristote). Cette perception se nourrit de tous les éléments susceptibles de souligner les diffé- rences physiques et morales entre les maîtres et les esclaves. De ce point de vue, le processus de représentation de l’esclave se configure aussi comme une forme d’autoreprésentation par contraste effectuée par la communauté des hommes libres, qui peut établir des équivalences entre la condition d’esclave et les « carac- tères raciaux » : en Italie, déjà à partir du xii e siècle, le mot sclavus (les premières attestations remontent au x e siècle en Allemagne) remplace peu à peu le mot servus en raison de l’association du statut à un groupe ethnique, les Slaves, pré- valant sur le marché des esclaves en Méditerranée ; dans le monde arabe, le mot ‘abd (esclave) devient progressivement au Moyen Âge un synonyme de Noir. Ces glissements sémantiques répondent aux pratiques des sociétés chrétiennes et musulmanes, nouvelles protagonistes de l’histoire de la Méditerranée. En ce qui concerne l’islam, durant les premiers siècles de l’expansion, la capture des infidèles fut la principale source pour satisfaire la demande d’esclaves. Bien que le Coran introduise des principes qui peuvent être lus comme des règles qui allègent la condition de l’esclave, la parole du Prophète (propriétaire d’esclaves) suit la position de légitimation du judaïsme et du christianisme. Lorsque les fron- tières arabes se stabilisent, et particulièrement à l’époque ottomane, l’interdiction d’asservir les musulmans nés libres et les sujets (y compris chrétiens et juifs) d’un État musulman fait du marché le moyen de s’approvisionner en esclaves. Ces esclaves achetés sont des plus diverses origines (Africains, Slaves, Turcs, Indiens, Chinois, etc.) selon les périodes, mais ce sont surtout les caravanes partant de l’Afrique subsaharienne qui approvisionnent le monde islamique, et cela jusqu’au

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