Empire | Grenet, Mathieu; Rappas, Alexis

Empire 461 Mais cette interpénétration du politique et du religieux, censée renforcer la cohésion de l’empire, alimente à partir du ix e siècle une rivalité croissante entre les Empires d’Orient et d’Occident qui se disputent l’exclusivité d’un legs romain dont se portent garantes deux Églises rivales. C’est dans ce contexte que l’empe- reur byzantin, qui avait délaissé au vii e siècle le titre d’ imperator pour le terme grec apparenté de basileus , adjoint à ce dernier le titre d’ autokrator – un terme dont l’étymologie situe clairement la source du pouvoir impérial dans la seule personne de l’empereur. C’est également entre la fin du viii e et le ix e siècle que l’on situe la fabrication de la « Donation de Constantin ». En attribuant à Rome la pri- mauté sur toutes les Églises chrétiennes, cet acte fait du pape le garant de la légi- timité divine du pouvoir impérial. En 962, le sacre d’Othon le Grand comme « empereur des Romains », présenté comme une restauration de l’Empire caro- lingien, mais qui constitue dans les faits l’acte de naissance du « Saint-Empire romain germanique », confirme le rôle de l’Église de Rome dans la translatio imperii (le « transfert de puissance ») accordée systématiquement à l’empereur élu. Parce qu’elle implique une succession linéaire d’un empire au suivant, la translatio imperii permet l’institution de généalogies politiques venant légitimer les prétentions territoriales des pouvoirs en place. Peut-être en raison de la pluralité des prétendants à la succession romaine, mais également de la diversité des cautions religieuses invoquées pour la valider (Église d’Orient, Église d’Occident), le terme « empire » acquiert alors une signification de plus en plus générique. Ce sont les chroniqueurs de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge qui, les premiers et par analogie avec le cas romain, l’utilisent de manière autant rétrospective (en référence à des formations politiques dispa- rues) que géographique (à propos de royaumes situés au-delà du limes romain). Ainsi, saint Augustin, Paul Orose, Sulpice Sévère et Jordanès reconnaissent-ils quatre « empires » : perse, macédonien, assyrien et bien entendu romain, tandis que Paul Diacre évoque l’« empire des Huns ». Saint Jérôme élargit plus encore le champ sémantique du terme imperium , qu’il utilise à près de 80 reprises dans la Vulgate au sens de « commandement », « pouvoir », « force » ou encore « hon- neur ». Malgré sa polysémie, le terme est toujours évoqué par ces auteurs en rela- tion avec des formations politiques dont le propre est d’exercer une souveraineté sur plusieurs types de peuples, de nations, de gentes . Lorsqu’il devint évident que les conquêtes musulmanes (arabes puis turques), à partir des vii e et viii e siècles, avaient donné naissance à des formations poli- tiques durables, c’est donc assez naturellement que les chroniqueurs du haut Moyen Âge puisèrent dans une grammaire impériale romaine pour en décrire le fonctionnement. Cette grille de lecture donne même lieu, dans le cadre de la première croisade, à une réactivation de la rivalité entre Romains et Perses auxquels sont respectivement assimilés les « Francs » et les Turcs seldjoukides.

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