Empire | Grenet, Mathieu; Rappas, Alexis

Empire 462 La reconnaissance des califats comme « empires » est également fondée sur une prise de conscience de leur ambition religieusement motivée d’étendre leur sou- veraineté à l’infini, une projection universaliste comparable à celle qui sous-tend les États carolingien et byzantin. Doit-on voir dans l’échange d’ambassades et de présents entre Charlemagne, Nicéphore et Hârûn al-Rashîd au début du ix e siècle une reconnaissance mutuelle de la commensurabilité des États dirigés par les uns et les autres ? Sous les Omeyyades, les Abbassides et les Fatimides, les généalogies politiques invoquées par les souverains musulmans sont bien entendu très différentes, tout comme s’articule différemment le rapport entre religion et politique. Ainsi le souverain est le khalifa , le successeur du Prophète, et le champ de son pouvoir est la mamlaka (« détenir », « posséder »). Ce dernier terme, dans la géogra- phie médiévale arabe, renvoie d’abord à la notion de pouvoir absolu, celui de Dieu sur la création. Par extension, il désigne le pouvoir illimité du souverain – c’est encore dans ce sens que François de Saint-Olon au xvii e siècle ou Louis de Chénier au xviii e siècle évoquent l’« empire du Maroc ». Le sens moderne du terme « royaume » dérive d’une distinction faite par le géographe al-Jâhiz (781‑869) entre le mamlakat al-Arab (le « royaume des Arabes ») et le mamlakat al-Adjam (le royaume des non-Arabes, par extension des Perses) plus tard réso- lue par Kudama ibn Djafar (873‑943) dans un seul et unique mamlakat al-Islam (le royaume de l’Islam) seul légitime, comme l’indique le fait qu’il soit désigné dans le langage courant simplement comme al-mamlaka . L’appel à l’unité poli- tique de la oumma (la communauté des croyants) par-delà les différences linguis- tiques marque ici le développement d’une grammaire « impériale » musulmane. À noter que cette géographie administrative distinguant le royaume de l’Islam du reste du monde est informée par l’unité politique réalisée sous les Abbassides. Elle se coule donc aisément dans la cosmogonie politique califale représentant le monde comme étant divisé entre le Dâr al-Islâm (le « domaine de l’Islam ») dont la vocation est de réduire par les armes et le prêche le dâr al-kufr (le « domaine de l’incroyance »), qui est également le dâr al-harb (ou le « domaine de la guerre »). La rapidité des conquêtes arabo-musulmanes jusqu’au x e siècle, qui amènent une large population non musulmane sous la suzeraineté du calife, entraîne le développement de pratiques administratives que les chroniqueurs occidentaux du Moyen Âge qualifieraient d’« impériales ». Ainsi, les populations chrétiennes et juives passées sous la souveraineté du calife bénéficient, en tant que gens du Livre (ahl al-Kitâb) , de la protection de ce dernier s’ils s’acquittent de la jizya , tribut qui confirme leur statut de dhimmis ou sujets protégés. De manière plus significative, les États musulmans empruntent un certain nombre de pratiques administratives aux empires chrétiens, notamment byzan- tin. Ainsi les Omeyyades, qui maintiennent un certain temps le grec comme

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