Drogman | Grenet, Mathieu

392 Drogman l’Empire ottoman. Un « drogman de la Flotte » est quant à lui nommé à partir de 1701 pour seconder l’amiral ottoman (le kapudan pacha ), avec lequel il par- tage les très lucratifs revenus de la plupart des îles de l’Égée. Contrôlées jusqu’au début du xix e siècle par une poignée de grandes familles grecques d’Istanbul (Mavrokordatos, Callimachi, Mourousis, Mavrogenis, Caradja, Soutzo), les charges de grand drogman et de drogman de la Flotte apparaissent étroitement liées à l’administration, par ces mêmes dynasties, des principautés roumaines de Moldavie et de Valachie. L’éclatement de la guerre d’Indépendance grecque vient mettre un terme à ce monopole phanariote, et marque le début d’un effort de « nationalisation » de ces fonctions, avec notamment la fondation d’un « Bureau de traduction » (Tercüme odası) chargé de former de jeunes sujets musulmans aux fonctions d’interprètes officiels de l’Empire. L’autre grand type d’activité que l’on désigne à l’époque moderne par le terme « drogman » – et c’est là son acception la plus courante – concerne plus spécifi- quement les interprètes de « langues orientales » (turc ottoman, grec, arabe et plus rarement persan) au service des marchands et des diplomates européens dans le Levant et sur la côte septentrionale de l’Afrique. Il en existe alors plusieurs classes, assumant toujours des fonctions de traduction, mais parfois aussi de guide et d’intermédiaire – et on les retrouve fréquemment au xix e siècle en qualité d’ac- compagnateurs des voyageurs européens en Orient. Du xvi e au xix e siècle, les drogmans sont majoritairement employés par les ambassades et les consulats des puissances européennes, qui disposent fréquemment de plusieurs interprètes à la fois – le plus souvent selon un ordre hiérarchique culminant avec la fonction de « premier drogman ». De même, une compagnie de commerce comme l’English Levant Company dispose, au tournant des xvii e et xviii e siècles, de quatre drog- mans à Istanbul, trois à Alep et deux à Izmir. Cette multiplication répond à la diversité des tâches auxquelles ceux-ci sont employés : outre la fonction d’in- terprétariat qu’ils exercent au quotidien, les drogmans sont en effet investis de différents rôles allant de l’expertise linguistique au conseil juridique, en passant par la représentation diplomatique et les différentes formes de médiations poli- tiques, sociales et culturelles. Fréquemment rattachés à la maison du consul ou de l’ambassadeur qui les emploie, ils doivent être également familiers des autres chancelleries européennes, ainsi que des lieux de pouvoir locaux, ou encore des tribunaux islamiques. Certains sont également engagés (plus ou moins directe- ment) dans des entreprises commerciales, tandis que d’autres sont épisodiquement chargés par des collectionneurs européens d’acquérir pour eux des manuscrits orientaux, des antiquités ou des spécimens scientifiques. Au xvi e siècle, une minorité d’entre eux parviennent enfin, en de rares occasions et à force de se rendre indispensables, à accéder aux fonctions de consul. En 1670, l’ambassa- deur vénitien à Istanbul Alvise Molin résume ainsi leur omniprésence : « Il suffit

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