Drogman | Grenet, Mathieu

391 Drogman Drogman Dérivé de la racine quadrilittère sémitique t-r-g-m , signifiant « traduire » ou « expliquer », et que l’on retrouve dans l’hébreu targum , l’araméen turgeman , ou encore l’arabe tardjumân , le terme « drogman » (ou sa variante « truchement ») apparaît entre le xii e et le xiii e siècle dans le contexte des États latins d’Orient, pour désigner un interprète employé entre locuteurs de langues « franques » et leurs voisins principalement arabophones. Au cours de l’époque moderne, le terme se diffuse progressivement dans un large nombre de langues – depuis le turc tercüman jusqu’à l’italien dragomanno / turcimanno , du grec δραγομάνος au moyen anglais dragman , ou encore de l’allemand trutzelmann au castillan médié- val trujamán . Si elle témoigne de la puissance métonymique de cette figure de l’interprète, cette vaste diffusion s’opère alors au prix d’une étroite inscription sémantique du terme dans un contexte méditerranéen marqué par un fort dua- lisme – au moins discursif – entre « Orient » et « Occident ». L’inscription du drogman au cœur des processus de médiation linguistique et culturelle entre « Europe » et « Orient » se décline en pratique selon des moda- lités différentes, que reflète la polysémie du terme dans le contexte ottoman, où il désigne deux grands types de charges. Ce sont tout d’abord les interprètes employés par l’administration ottomane, depuis ceux opérant au service des pouvoirs locaux dans les provinces non turco­ phones de l’Empire, jusqu’au « chef interprète » (baş tercüman) , qui devient au cours de l’époque moderne un fonctionnaire important de l’administration ottomane. Codifiée sous le règne de Soliman le Magnifique (1520‑1566) et presque exclusivement confiée à des individus récemment convertis à l’islam, cette dernière fonction témoigne d’une nette intensification, à partir du xvi e siècle, des négociations entre l’Empire ottoman et ses partenaires européens. Créée en 1661 dans un effort d’encadrement d’une fonction devenue stratégiquement importante aux yeux des Ottomans, la charge de « grand drogman » (appelé aussi « drog- man de La Porte » ou « drogman du Divan ») fait de son détenteur l’un des deux plus importants protagonistes – avec le reis effendi – de la politique étrangère de

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=