Décolonisation | Rappas, Alexis

Décolonisation 336 Ces deux sens ont inspiré les deux principales perspectives – l’une plus his- torique, l’autre plus critique – qui ont investi l’étude de la décolonisation. En dépit de leurs différences, ces dernières s’accordent cependant pour envisager la décolonisation comme une clé de compréhension indispensable des relations contemporaines – culturelles, politiques, économiques, migratoires – entre les pays dits « du Sud » et ceux dits « du Nord ». Il est utile de préciser à ce propos qu’en envisageant la décolonisation comme un phénomène global, alimenté par une dense circulation transimpériale et internationale d’hommes et d’idées, la recherche récente prend ses distances par rapport aux analyses antérieures dont le cadre interprétatif était strictement national, opposant une métropole spécifique à ses colonies. On a ainsi longtemps expliqué que la violence de la décolonisa- tion dans l’Empire français tirait ses origines d’un projet colonial assimilation- niste et se démarquait nettement du consensualisme relatif de la décolonisation dans l’Empire britannique, procédant logiquement d’une méthode de gouver- nance plus « indirecte ». Or, comme le suggèrent les cas de l’Inde, du Kenya, de Chypre ou de la Palestine, ce postulat n’a d’autre valeur que rhétorique et puise ses origines dans un discours développé dans le cadre d’une rivalité interimpé- riale après la Première Guerre mondiale. Ces remarques générales sont d’autant plus pertinentes pour le bassin médi­ terranéen, qui se distingue par la contiguïté entre anciennes colonies et métro- poles et, de ce fait, par l’ambition politique et culturelle des projets coloniaux européens et donc la violence qui a caractérisé la décolonisation dans cette région. Il est en effet nécessaire de rappeler ici que la représentation de la Méditerranée en tant qu’aire géographique et socioculturelle possédant des caractéristiques propres, dont il serait possible d’écrire une histoire distincte, puise ses origines dans un appareillage discursif et visuel (en particulier cartographique) développé durant la période coloniale. Par conséquent, la décolonisation, envisagée dans son sens de rupture historique ou de processus émancipatoire, soulève implicitement la ques- tion de la pertinence même de l’objet épistémologique « Méditerranée » et de la viabilité des projets tant scientifiques que politiques articulés autour de ce dernier. La décolonisation comme rupture : les étapes d’un parcours politique L’étude des décolonisations a longtemps été dominée par l’histoire politique, concentrée sur les émancipations nationales formelles, historiquement situées entre les xix e et xx e siècles, des sociétés sous administration coloniale européenne. Attentive à la diversité des contextes, cette perspective envisage la décolonisation

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