Décolonisation | Rappas, Alexis

Décolonisation 337 comme une rupture à partir de laquelle d’anciennes colonies européennes se transmuent en États-nations internationalement reconnus ou s’intègrent dans des États préexistants. Selon cette analyse, la décolonisation suivrait à l’échelle globale une trajec- toire à peu près similaire que l’on peut retracer ici. Les élites locales, souvent formées dans les écoles du colonisateur, mais sciemment marginalisées par ce dernier, organisent et fédèrent, sous la forme de partis, d’associations, voire de syndicats, les résistances multiples, polysémiques et souvent anciennes à l’ordre colonial pour demander soit l’élargissement des droits politiques des sujets colo- niaux, soit l’indépendance totale vis-à-vis de la métropole. Graduellement, ces élites donnent donc un contenu « national » à une résistance polyvalente face à l’assujettissement colonial. Dans ce cadre, les deux conflits mondiaux et l’entre-­ deux-guerres agissent comme de puissants catalyseurs pour les mouvements de contestation anticoloniale. Les puissances européennes mobilisent depuis longtemps des troupes colo- niales : ainsi, des contingents bengalais, baloutches et penjâbis participent aux occupations britanniques de Chypre (1878) et de l’Égypte (1882). Mais c’est au cours de la Première Guerre mondiale que ce recours à la participation coloniale en temps de guerre est systématisé. Ainsi, la France recrute en masse des travail- leurs et des soldats coloniaux provenant pour la plupart de l’Afrique du Nord (270 000 Algériens, Tunisiens et Marocains forment ainsi l’essentiel des troupes coloniales françaises), proposant parfois en échange à ces derniers, à titre indivi- duel, une amélioration statutaire, voire, exceptionnellement, l’accès à la pleine citoyenneté métropolitaine pour eux-mêmes et leurs familles. Parce qu’elle a mis en évidence la dépendance des métropoles vis-à-vis de leurs colonies, la guerre totale oblige sinon à repenser la nature de la relation coloniale, du moins à en réinventer la grammaire. Ainsi, si les mouvements anticoloniaux n’obtiennent aucune concession significative au nom du principe d’inspiration wilsonienne du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », dont le champ d’application est restreint à l’Europe, l’on observe l’émergence d’une nouvelle terminologie dont la fonction est de justifier la perpétuation de la domination européenne au nom, toutefois, des « responsabilités » que les métropoles seraient censées assumer vis-à-vis de leurs dépendances. C’est ainsi que, annonçant la transmutation des anciennes colonies allemandes pacifiques et africaines et des provinces ottomanes proche-et moyen-orientales en « mandats », l’article 22 du pacte de la Société des nations de 1919 stipule que « le bien-être et le développe- ment de[s] peuples [colonisés] forment une mission sacrée de civilisation » que doivent mener à bien les puissances « mandataires », en particulier la France et la Grande-Bretagne. Ces infléchissements discursifs n’ont aucune réelle incidence sur la vie des populations sous « tutelle » européenne. Ils contiennent toutefois

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