Dauphin | Faget, Daniel

Dauphin 330 dans les universités de la Contre-Réforme, distingue de manière définitive l’âme instinctive de l’animal et l’âme immortelle de l’homme, seule créature à bénéficier de la rédemption. Le dessein du Créateur, qui a strictement hiérarchisé le monde vivant pour le seul service de l’homme, cantonne désormais l’animal dans le rôle secondaire d’un pourvoyeur de nourriture. Dans cette nouvelle représentation du monde, les êtres marins subissent une double déchéance. Ravalé au rang de créa- ture inférieure, le dauphin souffre en outre de la suspicion qui s’attache depuis le Moyen Âge à l’ensemble des animaux fréquentant les mondes marins. Sous l’in- fluence des textes bibliques, la mer est au Moyen Âge et au début de l’époque moderne un lieu répulsif. Si l’on se réfère au récit de la Création dans la Genèse, au commencement du monde, l’esprit de Dieu flotte sur un chaos liquide, masse abyssale, qui constitue la substance primordiale. L’océan symbolise le désordre anté- rieur à la civilisation. Le Déluge ajoute à cette crainte de l’élément liquide. Il est un retour temporaire au chaos, puisqu’il se traduit par une restauration de flots sans rivages. Les mers et les océans sont donc des reliques de la catastrophe (Corbin). La figure vétérotestamentaire du Léviathan (Isaïe), « le monstre qui est dans la mer », consacre le caractère monstrueux du poisson, habitant d’un univers qui est le royaume de Satan. Confirmée par la littérature savante des xvi e et xvii e siècles comme par les récits de marins, l’existence des monstres marins trouve aux yeux des sociétés littorales une incarnation quotidienne en la figure du dauphin. Remarquablement intelligent et opérant avec régularité des attaques destructrices contre les fragiles filets de chanvre des pêcheurs, cet animal porte indéniablement la marque du malin. La nature démoniaque de cette créature doit donc être combattue par les autorités ecclésiastiques. L’aide apportée par l’Église aux pêcheurs dans leur lutte contre les dauphins est, à plusieurs reprises, mentionnée par les sources. La bulle du pape Paul V adressée en 1612 à Jacques Turricella, évêque de Marseille, énumère ainsi l’ensemble des dispositifs d’ordre religieux habituellement utilisés pour vaincre ces bêtes malfaisantes. Ces derniers associent jeûnes, processions, pratique de la charité, bénédiction des barques et des filets, et exorcisme des flots afin d’en chasser les « esprits immondes ». Sur le modèle des chasses pratiquées par les Perses de l’Antiquité, les pêcheurs de l’époque moderne organisent aussi, parallèlement aux interventions de l’Église, la capture et la destruction de ces mammifères. Des sennes encerclent alors les bancs de dauphins afin de les amener jusqu’à la grève où ils sont mis à mort et parfois exposés (Michel Darluc). Si la récupération de l’huile contenue dans la chair des dauphins semble habituelle dans la mer de Marmara et la mer Noire, il ne semble pas qu’elle ait donné lieu à une exploitation ordinaire dans le bassin occidental de la Méditerranée à l’époque moderne. On retrouve cependant fré- quemment la chair de ces animaux sur les étals des poissonneries, où elle est par- fois transformée en pièces de salaisons ou en saucissons (Duhamel du Monceau).

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