Course | Kaiser, Wolfgang

Course 318 Méditerranée au xvii e siècle, la mer Intérieure devient le théâtre de conflits multiples et – en l’absence d’une puissance hégémonique qui aurait pu assu- rer la police des mers et la libre circulation – d’une course généralisée après la bataille de Lépante (1571), course qui connaît son apogée tout au long du xvii e siècle (1580‑1699). Cette réalité a longtemps été occultée par une historiographie et une litté- rature européenne qui ont sciemment construit une Barbary Legend (Fisher, 1957) présentant les « pirates barbaresques », cruels et habités par la soif du gain comme les seuls acteurs des violences maritimes en Méditerranée à l’époque moderne. Quelques grandes figures corsaires, en partie des convertis à l’islam, résument cette légende noire : en premier lieu, les frères ‘Arruj et Khayr al-Dîn Barberousse, qui ont non seulement mené, au début du xvi e siècle, une guerre de harcèlement contre les Espagnols, mais se sont aussi imposés par la force à Alger et à Tunis avec l’aide militaire ottomane, et en ont fait des villes et terri- toires sous tutelle ottomane. Leur appellation en Europe d’« États barbaresques » traduit, par les connotations péjoratives du mot « barbaresque », un jugement polémique des Européens porté sur des formations étatiques par la violence qui ont été bien connues au bas Moyen Âge européen mais qui étaient déconsidé- rées au Maghreb comme des usurpations illégitimes du pouvoir. En réalité, les corsaires maghrébins, qui mènent au xvi e siècle des opéra- tions navales et des razzias terrestres surtout contre l’ennemi espagnol, agissent au service des Ottomans et deviendront, après 1533, commandants (Kapudan pacha) de la flotte ottomane en Méditerranée, comme le fut Khayr al-Dîn, vainqueur de la bataille de Préveza en 1538. Avec la flotte française alliée, celui-ci et d’autres commandants-corsaires ottomans comme Kiliç Ali Pacha (Uludj Ali Pacha ou Occhiali) ou Turgut (Durghûth) Reis (Dragut) mènent au xvi e siècle des opérations militaires importantes dont la conquête de Djerba et de Tripoli en Libye. Les recherches menées depuis un demi-siècle ont battu en brèche les repré- sentations idéologiques de part et d’autre de la course et montré la symétrie des formes étatiques d’une économie de la course qui se développe à Malte (avec l’installation de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem en 1530), aux ports d’Alger, Tunis et Tripoli, ainsi que dans le port de Livourne devenu port franc (1593) et à Pise, où est établi l’ordre militaire des chevaliers de Saint-Étienne (créé en 1561). Si les mobiles religieux de la guerre menée contre l’adversaire religieux restent très présents, ils ne servent souvent que d’écran à une activité corsaire plus com- plexe, dirigée aussi contre les navires marchands de leur propre religion (ou d’une variante, comme les Grecs orthodoxes). Dans le cas de Malte, ce corso , qui vise les routes d’approvisionnement de l’île, entraîne la constitution d’un butin,

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