Cosmopolitisme | Driessen, Henk

Cosmopolitisme 314 cosmopolitisme possède une ambiguïté inhérente car il tente de concilier valeurs universelles et pluralisme. Deuxièmement, on constate une relation probléma- tique entre le cosmopolitisme et le pouvoir. Les deux sont généralement l’apanage des élites, dans le contexte de leur domination culturelle, même si récemment certains spécialistes ont souligné des cosmopolitismes dans les classes inférieures. Troisièmement, il existe plusieurs cosmopolitismes, chacun faisant référence à des périodes historiques différentes. Quatrièmement, la tolérance de l’altérité comme valeur clé du cosmopolitisme comporte une forme dite « faible » ou « passive » de non-interférence vis-à-vis de la différence, et une forme active qui se traduit par la promotion de la sympathie envers d’autres modes de vie. Tout débat plus poussé sur les cas de cosmopolitisme devrait prendre en compte ces notions complexes. Dans ses recherches sur l’Istrie et Trieste, Pamela Ballinger a confondu dès le départ les significations actuelles du terme « cosmopolitisme » avec les réalités historiques de Trieste bien différentes. À un stade plus avancé de ses recherches, elle a remarqué que Trieste était contrôlée économiquement et politiquement par une élite commerçante moins cosmopolite que les récents récits, motivés par la nostalgie impériale d’un monde perdu, veulent bien le faire penser. Nos recherches à Melilla, enclave espagnole au Maroc, nous ont amené à comprendre le cosmopolitisme principalement comme une idéolo- gie multiethnique de l’élite, fondée sur une société civile qui serait axée sur la convivencia et où les gens vivraient en paix tous ensemble, qu’ils soient chré- tiens, juifs ou musulmans. Nous devons être prudents et ne pas reprendre ce type de structures réservé à l’élite. Il est évident que les villes portuaires étaient, et sont encore, des fenêtres ouvertes sur le monde. Mais quel est leur réel degré d’ouverture ? Pour qui et à quelle fin s’ouvrent-elles ? De plus, le cosmopoli- tisme prénationaliste de Smyrne ou d’autres sociétés portuaires, dont les récits de voyage et les témoignages historiques ont si souvent fait l’éloge, ne serait- il pas seulement une variante de cette symbiose culturelle médiévale qu’est le mythe al-Andalus ? Des études comparatives sur certaines villes portuaires entre la fin du xix e et le début du xx e siècle mettent en lumière les caractéristiques croisées suivantes : la présence d’importantes minorités ethniques commerçantes, notamment les Juifs ; une atmosphère où prédomine la volonté d’entreprendre ; une pluralité religieuse et linguistique ; une ouverture vers la région méditerranéenne au sens large et l’Europe occidentale ; au moins une forme « faible » de tolérance ; une croissance économique importante ; des intérêts communs au-delà des barrières ethniques ; un système éducatif de base, modelé sur les systèmes français et bri- tannique ; et de vastes réseaux commerciaux, sociaux et culturels dépassant le monde méditerranéen. Mais cet ensemble de similitudes peut-il être considéré

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