Captif | Kaiser, Wolfgang

Captif 206 depuis le xv e siècle. S’il n’y a pas de séparation nette entre traite atlantique et un système d’esclavage méditerranéen ancien, il convient de distinguer ce der- nier de la traite négrière, à cause de l’éventualité et de l’espoir des captifs de leur retour dans leur pays via un échange de galériens ou d’un rachat par une mis- sion ou par des particuliers. Cette réalité historique interdit la mise en parallèle entre une traite des noirs atlantique au fondement raciste, et un esclavage blanc d’Européens en Méditerranée (estimés de manière exagérée à plus d’un million au Maghreb à l’époque moderne) et qui s’expliquerait par les mobiles religieux des musulmans. C’est un autre avatar d’une longue tradition européenne de dessiner l’image stéréotypée du « Turc » ou du « Barbaresque » cruels, comme seul acteur d’une guerre de course et chasse aux esclaves, à laquelle une historio­ graphie maghrébine postcoloniale a répondu avec une vision aussi idéologique de la course maghrébine comme acte de résistance légitime contre les puissances européennes. Les recherches menées depuis désormais un demi-siècle – par S. Bono, P. Earle, M. Fontenay ou S. Boubaker, par exemple – ont battu en brèche ces visions idéologiques réciproques. Elles ont montré le caractère généralisé de la course en Méditerranée surtout après la bataille de Lépante (1571) qui visait à nuire à l’adversaire et à faire du butin, y compris humain. L’offre et la demande crois- santes de captifs à racheter ont donné à l’époque moderne une impulsion aux échanges économiques en Méditerranée, pour lesquels le commerce de captifs constitue un élément dynamique et sécurisant. Se développe ainsi une écono- mie de la rançon qui vit des frictions profitables et ne disparaît qu’avec la péné- tration coloniale européenne en Afrique du Nord au xix e siècle. Aider le coreligionnaire tombé en captivité fait partie des obligations des croyants dans les grandes religions de la Méditerranée. L’entraide organisée pour les captifs par les communautés juives remonte au moins jusqu’au xi e siècle, et l’on entrevoit des traces de leur formulae dans les pratiques des communautés musulmanes mudéjares sous domination chrétienne dans la péninsule Ibérique. À l’époque dite de la Reconquista, on y développe des modalités analogues de la recherche et du rachat de captifs. Le fakkak musulman, qui, avec une licence des autorités chrétiennes, rachète des captifs avec des dons rassemblés par des fonda- tions comme le Waqf al-Haramayn dans l’Alger ottomane ou les communautés, devient en portugais et castillan l’ alfaqueque chrétien qui intègre cette tâche dans ses activités et légitime ainsi son commerce avec l’« infidèle ». Pour la Chrétienté latine, les croisades et surtout la défaite de Hattin (1187) auraient donné une impulsion majeure à la fondation d’institutions du rachat comme l’ordre de la Trinité (fondé en 1187) et l’ordre de la Merci (fondé en 1228 à Barcelone). La désignation des captifs comme des hommes souffrant pour le Christ qui, lui, est un quasi captivus , donne une justification à l’œuvre des ordres de rédemption.

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