Braudel, Fernand | Crivello, Maryline

Braudel, Fernand 188 axes de communication terrestres, mesure les distances commerciales, évalue la dimension des marchés et les zones d’influence des ports (Venise, Marseille) et se livre à un inventaire démographique. En lien avec les questions commer- ciales, Braudel examine le rôle des métaux précieux vis-à-vis des monnaies et de l’évolution des prix. Mais c’est aux formes de guerres qu’il accorde toute son attention pour comparer la « grande guerre de prospérité » liée à la puissance et à l’argent, à la « petite guerre », la « guerre de courses », dominante en période de récession. Dans sa dernière partie, Braudel se consacre à une « histoire à la dimension non de l’homme, mais de l’individu, l’histoire événementielle […] une histoire à oscillations brèves, rapides, nerveuses ». Les empires rivaux, espagnol et turc sont disséqués : structures institutionnelles, organisation des armées, des flottes, des fortifications. Dans ce théâtre méditerranéen de l’affron- tement permanent entre Chrétienté et Islam, la bataille de Lépante, en 1571, fait figure d’événement majeur, de choc frontal, qui voit le triomphe de la tech- nique chrétienne sur les galères trop légères des Turcs. Pour Fernand Braudel, la Méditerranée a une double appartenance, celle du Levant et celle du Ponant et ces deux Méditerranées sont jointives de part et d’autre du seuil de la Sicile où se trouvent toutes les grandes rencontres de l’histoire depuis la bataille d’Actium en 31 av. J.‑C. Symboliquement, la bataille de Lépante, victoire chrétienne indis- cutable, marque non seulement la fin de la suprématie turque mais la fin des guerres navales en Méditerranée pour la Chrétienté. Lépante est pour Fernand Braudel le symbole d’une transformation considérable sur la longue durée. À ce titre, on peut s’interroger sur la vision de la civilisation musulmane de Fernand Braudel et il apparaît que certains de ses jugements sont empruntés à l’orthodoxie orientaliste. « […] la Méditerranée de Fernand Braudel est un lac occidental, où l’islam est un intrus, comme chez Pirenne. L’islam reste le fait du désert, son lieu d’origine, qui l’a marqué comme congénitalement ; c’est la “Contre-Méditerranée”. “Le cœur de l’Islam, c’est l’espace étroit de La Mecque au Caire, à Damas et à Bagdad, l’Islam c’est le Proche-Orient”. On comprend pourquoi il n’a pu s’enraciner que dans la partie hier punique de la mer, au sud. Fernand Braudel s’inscrit ici dans une longue lignée d’auteurs – historiens, géo- graphes, essayistes, romanciers –, André Siegfried, Paul Valéry, Lawrence Durrell, etc. s’ajoutant à ceux déjà cités et à beaucoup d’autres qui, du xix e siècle jusqu’aux décolonisations, ont pensé la Méditerranée comme mer de la prépondérance européenne. » (Liauzu, 1999, p. 186.) Outre cette appréhension problématique de l’islam qui témoigne des grands paradigmes de son temps, la thèse de Fernand Braudel se heurte aussi aux critiques de sa conviction de la suprématie occiden- tale sur le reste du monde. Jack Goody démontre, à ce sujet, l’ambivalence de la perception du changement social chez Fernand Braudel, lequel décrit la rapidité avec laquelle les cultures américaines se sont propagées (celles du tabac, du café,

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=