Bertrand, Louis | Dusserre, Aurélia

Bertrand, Louis 159 romans algériens. L’Algérie est pour lui une véritable révélation : lieu de plai- sir, d’exotisme, de sensualité et de liberté, comme une image en négatif de la vie qu’il avait connue jusque-là. Il la parcourt en tout sens : en compagnie d’équi- pages de rouliers, il effectue plusieurs voyages dans le Sud et aborde le désert. Son séjour dans la colonie est également pour lui l’occasion de découvrir l’Algérie romaine : grâce à l’historien et archéologue Stéphane Gsell, il se rend à Tipasa en 1895, où lui apparaît également une Algérie chrétienne. Ce choc provoqué par sa rencontre avec un Sud longtemps fantasmé le conduit à l’écriture : en 1899 paraît Le Sang des races , qui connaît un relatif suc- cès public. Dès ce premier roman, tout entier consacré à l’Algérie, Louis Bertrand peut être considéré comme l’inventeur de la littérature coloniale algérienne. Rompant avec l’Algérie littéraire des romantiques ou des naturalistes, il propose une vision nouvelle des thèmes nord-africains, introduisant dans la littérature romanesque l’idée d’une Algérie telle qu’il la vit. Ses cinq romans algériens ont tous un thème commun : la vie et les activités du petit peuple des colons. Son propos, appuyé par de grandes fresques épiques et romanesques, est d’y célébrer la naissance d’un peuple neuf, venu de toute la Méditerranée. Rouliers, dockers, agriculteurs sont pour la première fois des héros littéraires à part entière. Colons démiurges et défricheurs, ils prennent une dimension nouvelle : symboles de la force matérielle, ils sont également les garants de la santé physique et morale de la France. Le corps et la puissance deviennent dès lors un thème privilégié de ses romans algériens, qui ne laissent aucune place aux Arabes et aux coloni- sés : ces romans n’ont d’ailleurs d’algérien que le nom, l’auteur s’étant donné comme objet exclusif la communauté des colons. Par cette ségrégation symbo- lique, les Arabes sont rejetés de leur propre pays, ils ne sont que des figurants dans le décor essentiellement latin, simples formes vues ou entendues de loin, sans individualité ni culture. La représentation de l’Algérie telle qu’on peut la lire dans les romans algériens de Louis Bertrand est donc celle d’un Européen, au service de l’idéologie coloniale : source de régénération nationale et modèle de société réactionnaire, elle est avant tout une Algérie latine et chrétienne, dépouillée de tout héritage arabe et islamique. La latinité sert ainsi de justifica- tion à la colonisation française, en vertu de l’antériorité de la présence romaine ; elle donne aussi aux colons leur unité, mythe fondateur de l’unité d’une popu- lation très hétérogène. Revenu en France, bénéficiant d’une certaine audience et désormais libre de toute contrainte professionnelle, Louis Bertrand se consacre pleinement à ses activités littéraires. Il écrit en 1907 un roman sur Marseille, intitulé L’Invasion , dans lequel il exprime son angoisse d’une immigration étrangère, italienne, mais aussi russe, vues comme un danger politique anarchiste. Débute ensuite une vie de voyages autour de la Méditerranée : Istanbul, Madrid, Le Caire, Rome ou

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