Archéologie | Jockey, Philippe

Archéologie 105 quartiers artisanaux, constitua une étape supplémentaire dans une affirmation de soi héritée de la Renaissance, qui allait de pair, déjà, avec une définition de l’autre comme inférieur, sur le modèle, d’ailleurs, de la découverte du Nouveau Monde moins de deux siècles auparavant. L’archéologie européenne eut dès lors la Méditerranée comme terrain princi- pal. Avec pour mission, explicite ou non, la réappropriation de cet espace grec et romain auquel l’Empire romain avait donné jadis son extension la plus grande. La redécouverte de la Grèce antique mit en œuvre des processus comparables. L’expédition de Morée, entre 1829 et 1831, associant savants et militaires sur le modèle de l’expédition d’Égypte, juste trente ans plus tôt, accompagna la nais- sance de l’État grec, émancipé de la tutelle ottomane à compter de 1830. Elle posait dans le même temps les premiers jalons de l’exploration archéologique de la Grèce, enjeu international, d’emblée. Les puissances européennes, au premier rang desquelles la France, qui joua un rôle décisif dans la reconquête de leur indépendance par les Grecs, rivalisèrent en effet d’ardeur pour enraciner le jeune État dans un modèle classique, celui du « Siècle de Périclès », dont le rayonnement se confond avec l’exercice du pou- voir à Athènes du célèbre stratège athénien entre les années 450 et 429 av. J.‑C. Dès 1846 est fondée l’École française d’Athènes ( efa ), le premier établissement scientifique en Grèce. Sa mission officielle est exprimée dans sa charte de fonda- tion : « Il est institué une École française de perfectionnement pour l’étude de la langue, de l’histoire et des antiquités grecques à Athènes. » Les historiens de l’ efa insistent avec raison sur la volonté politique, commune à la France et à la Grèce, qui sous-tend alors cette fondation, portée par le ministre grec, par l’ambassa- deur de France à Athènes et le ministère de l’Instruction publique côté français. L’Empire ottoman, en consentant avec quelque négligence au développement d’une archéologie grecque au-delà des frontières strictes et étroites du tout pre- mier État grec, a encouragé malgré lui l’affirmation d’une identité hellénique forte qui ne cessa, dès ce moment-là, d’opposer sa légitimité historique à l’alté- rité supposée barbare du sultan. Dès lors, entre les années 1850 et la fin du xix e siècle, on assista à une authen- tique « course aux vestiges » classiques, dont les principaux acteurs sont dans un premier temps la France et la Prusse (puis l’Empire allemand). L’exploration archéologique des sites les plus célèbres de l’Antiquité grecque fut concédée, au prix de négociations diplomatiques mais aussi commerciales, par l’État grec au « plus offrant » et/ou au « mieux disant ». Les concessions des sanctuaires d’Olympie (consacré à Zeus) et de Delphes (dédié à Apollon) échurent, par exemple, respectivement aux archéologues allemands à compter de 1875 et français à partir de 1892. Impossible de ne pas reconnaître dans ces choix l’ex- pression plus moins consciente d’une volonté de puissance (Zeus n’était-il pas

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