Archéologie | Jockey, Philippe

Archéologie 106 le premier des Olympiens ?) et le souci de lui opposer une forme de rationa- lité apollinienne dans l’autre… De même, comment nier que la conduite au xx e siècle, dans l’entre-deux-guerres, sous l’égide de riches mécènes américains (dont J. D. Rockefeller)puis pendant la guerre froide, des fouilles de l’agora d’Athènes, haut lieu d’exercice de la démocratie et de la parole politique antiques, ait eu valeur de symbole et n’ait été porteuse d’un message délivré par la démo- cratie américaine au reste du monde à deux moments clés de son histoire ? Le territoire grec restera très longtemps la projection spatiale des antagonismes des grandes nations européennes. Adolf Hitler lui-même ordonna de nouvelles fouilles à Olympie en 1936, à l’occasion de l’organisation des Jeux olympiques de Berlin. L’archéologie romaine ne fut pas en reste, au fil du xx e siècle, dans cette recons- truction qui est aussi une (ré)appropriation d’un modèle antique classique. L’une de ses expressions les plus spectaculaires fut sa prise en charge par le fascisme mussolinien, mises en scène comprises. À Rome, les forums impériaux, expres- sion déjà grandiloquente du pouvoir des empereurs romains, furent traversés par une voie nouvelle que Mussolini put dès lors emprunter, pour son propre triomphe, à la mode antique. C’est l’écho romain de la tentative de mainmise hitlérienne sur l’archéologie grecque, au même moment. L’archéologie de la rive sud se confond alors avec la mise au jour des fonda- tions romaines d’époque impériale, une exploration indissociable de l’aventure coloniale européenne et notamment française et italienne. En 1934, Cyrénaïque et Tripolitaine furent réunies par Mussolini en un seul ensemble, la Libye, dont le nom est d’origine antique. La fouille de grands sites grecs (Cyrène) ou romains fut l’occasion d’affirmer l’antériorité – outre une supériorité qui allait de soi – des colons grecs ou romains d’hier sur les autochtones d’alors. « Produire de la ruine grecque ou romaine », consciemment ou inconsciemment, c’est bien alimenter à son corps défendant ou pas le discours colonialiste officiel justifiant la domi- nation du colonisateur sur le colonisé. La fouille de Carthage en Tunisie, haut lieu punique s’il en fut jamais, en mettant en évidence la puissance des ennemis de Rome, n’en célébrait que davantage le triomphe de celle-ci. Cette archéologie de soi, qui prend la Méditerranée antique grecque et romaine comme sanctuaire originel exclusif, est indissociable de la construction symétrique d’une archéologie des autres grandes civilisations, telles l’Égypte ou la Mésopotamie, elles aussi prises en charge par les mêmes, et plus particulière- ment ici par la France et la Grande-Bretagne. Avec pour visée, dans les deux cas, son appropriation sinon toujours sa subordination, au-delà de la seule collecte de données inédites et de l’admira- tion qu’elles peuvent légitimement susciter auprès du monde savant et du grand public. Un décret de Charles X, daté de mai 1826, témoigne de cette atten- tion royale à relayer fort opportunément cette attente nouvelle. Il réorganise le

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