Archéologie | Jockey, Philippe

Archéologie 104 eut pour premiers terrains la vallée de la Somme ou le Danemark, sous l’im- pulsion du Français Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes qui publie ses Antiquités celtiques et antédiluviennes en 1848 ou du Danois Thomsen (1788‑1865), le théoricien des Trois Âges de l’humanité (pierre, bronze, fer). Et ce ne fut que bien tardivement qu’advint à l’histoire la préhistoire « égéenne », définie par son aire d’étude, le bassin égéen. Quant à la protohistoire, période où par définition les éléments d’une culture matérielle l’emportent encore sur les textes, elle se développa d’abord en Europe centrale ou de l’Ouest, avant que Heinrich Schliemann, dans le dernier quart du xix e siècle, ne donnât à la proto­ histoire égéenne ses lettres de noblesse, avec la découverte des sites de Troie en Asie Mineure et de Mycènes en Argolide. Reste que l’on est fondé à reconnaître à l’archéologie une origine méditerranéenne, si l’on s’en tient à l’intuition déci- sive de Thucydide. Plus qu’ailleurs peut-être, aussi, l’archéologie en Méditerranée est-elle l’his- toire d’une affirmation de soi – « l’homme occidental blanc », autoproclamé seul héritier de l’Antiquité classique – et d’une subordination de l’autre, quel qu’il soit, au premier. Ses développements en Méditerranée, à compter de l’invention d’Herculanum et de Pompéi jusqu’à nos jours, sont indissociables, en effet, d’une volonté poli- tique, qui prit, au fil des siècles, des formes et expressions diverses mais répon- dant toutes à une seule et même visée, la maîtrise du discours sur le passé par le pouvoir en place. On comprend d’emblée pourquoi, de fait, aujourd’hui encore, l’archéologie demeure plus que jamais un enjeu en Méditerranée. Chacune des grandes étapes de l’archéologie méditerranéenne (au sens le plus neutre encore du terme) constitue un moment clé dans cette prise en main. Incontestablement, dans un premier temps, prédomina la construction métho- dique d’un modèle classique de civilisation et donc l’affirmation d’une identité collective définie par sa référence exclusive au monde grec et romain antique. La redécouverte de la littérature et de l’art de l’Antiquité classique, à compter du Quattrocento, ne suffit plus aux élites savantes et politiques dès le xviii e siècle. Il fallait désormais leur adjoindre une expression matérielle plus spectaculaire, plus populaire aussi, garantie de la paix civile. La mise au jour des deux villes campaniennes, figées dans l’instant même de leur destruction dramatique, mobi- lier domestique et individus pris au piège inclus, en 79 apr. J.‑C., répondit alors, au-delà de la passion légitime des spécialistes, à une telle volonté. Pour preuve, entre autres, la décision par le roi des Deux-Siciles lui-même d’engager ces fouilles en en assumant la charge financière. L’évidence désormais matérielle et spectaculaire de la civilisation romaine dans ses développements au nombre des plus raffinés, mosaïques, peintures murales, demeures aristocratiques, ou plus banals, tels les îlots urbains et les

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