Léon Chaudanson : Scènes de la vie marocaine

la fêle de l'achoura par tous les porteurs d'eau de la ville rassemblés au souk et circulant sans répit parmi la foule. Toute personne qui se décida à l ’ offrande d une outre pleine boit généralement une gorgée de son eau et fait répandre le restant sur le sol « fésebüallah » (pour l'amour de Dieu). Aussi ne tarde-t-on pas à patauger dans l'eau au souk de l'achoura. Certains donateurs, payant plus largement, demandent au porteur d'eau d ’ aller répandre le contenu de leur outre sur la tombe d ’ un parent ou d ’ un ami. Dans bien des cas. ils les accompagnent jusqu ’ au lieu voulu pour assurer de l ’ exécution du service demandé. Quelques gamins exploitent l'engouement pour cette débauche d ’ eau en offrant de répandre le contenu de petites cruches grossières, blanchies à la chaux, dont on vide simplement le contenu ou que l ’ on laisse choir selon la générosité du client . l'achoura est la prov idence des «guerrab » (porteurs d'eau). Charmeurs de serpents Lors de l ’ achour. le charmeur de serpents, ne se contente pas de ses exhibitions habituelles. Il offre aux campagnards naïfs de les immuniser contre le venin des reptiles dangereux. Le cou entouré d ’ un collier fait des têtes de vipères qu ’ il a déjà sacrifiées et ayant un énorme reptile étalé sur scs mains, il offre sa baraka (bénédiction) aux naïfs bédouins sidérés par un tel spectacle. Un cercle de curieux se forme rapidement autour de lui. Il en élimine les curieux pour ne conserver (pie ses sincères admirateurs. Après un appel à la générosité et les invocations de circonstance, il circule dans le groupe et administre à chacun le « baptême du venin » en lui posant le reptile sur la tête et sur les mains pendant quelques secondes. Pendant les entractes, le serpent est habilement glissé sous la jellaba d ’ un assistant bien en vue généralement peu rassuré d ’ avoir reçu un tel dépôt. Il emploie tout son talent à faire défiler le plus possible de clients. Ingénieux et psychologue consommé, il sait leur soutirer de belles pièces blanches après les avoir conv aincus qu ’ ils n ’ ont désormais plus rien à craindre des reptiles redoutés. L'Achoura sous la tente La veille de l'Achoura. devant chaque tente, on allume un feu de paille ou d ’ herbes sèches sur lequel l ’ aîné des jeunes enfants de chaque famille fait rôtir la lia de l'aid el Kebir. Rôtie à point, elle est distribuée aux tout petits qui la savourent naïvement en sautillant de joie et en chantant : « àaj ! âaj ! ia rebbi qaoui ennâaj ! » (O mon dieu ! fais prospérer nos brebis) « îij ! îij ! ia rebbi quaoui ermâïz ’ » (O mon dieu ! fais prospérer nos chèv res). Marchandes d'ingrédients magiques Les vieilles campagnardes offrent ce jour-là des ingrédients magiques constituées par des herbes desséchées, associées à du mica, de la pierre ponce colorée et quelques autres minéraux. La base végétale est fournie par une plante appelée « ded » vendue en souche ou débitée en coupeaux. Tous ces produits sont connus sous le nom de « bkhour cl achoura » (fumigations de l'achoura). Ils constituent la providence des foyers où il y a un malade à soigner. Si les ménagères modestes viennent s'approvisionner directement, les épouses fortunées envoient leurs négresses aux ravitaillements en drogues, de l ’ achoura. On vend également des fards (harkous) aux propriétés mirifiques irrésistibles que l'on débite dans des coquilles de moules. Les produits de V achoura ont une valeur inestimable aussi ne manque-t-on pas de faire amplement provision du nécessaire pour l ’ année entière. Cela fait penser aux provisions d'eau bénite et de laurier béni que I on fait chez nous. Marchands de gouels Le «gouel » est un tuyau en poterie de forme tronconique dont l ’ extrémité évasée est fermée d ’ une peau tendue au-dessous de laquelle deux fines cordes parallèles viennent accentuer les vibrations. L'extérieur est décoré d ’ enluminures aux vives couleurs se détachant sur un fond bleu, rouge ou jaune. Il y en a de toutes les tailles et pour toutes les bourses. Le «gouel » est le cadeau que les parents font obligatoirement à leurs filles, à leurs petits-enfants. Les prix variant de 0.20 fr à 2 fr le met à la portée de toutes les bourses. Dès la veille de LAchoura les soirées sont remplies du tintamarre de celle musique d'accompagnement. La fête passée, on range précieusement cette poterie sonore (pie l'on reprendra toutes les fois que dans une maison femmes ou fillettes seront en fête. Le marchand de « gouels » vend aussi des cruches blanchies à la chaux (pic les enfants remplissent d ’ eau offerte « ji sabil allah ». Etant de peu de valeur, elle est sacrifiée sans hésitation lorsque la générosité du client le permet. L ’ achoura connaît la grande vague des « gouels » et des « quellouch » (cruches).

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