Waqf | Deguilhem, Randi

1556 Waqf ottomane jusqu’à nos jours (De Rapper, 2009), où les différentes communautés chrétiennes et musulmanes utilisent encore le vakëf à des fins socio-religieuses, en partageant souvent d’ailleurs le même lieu de recueil religieux en waqf . En effet, parler de waqf dans la Méditerranée ou ailleurs voudrait dire par- ler d’un outil de société qui dépasse les clivages confessionnels, linguistiques et ethniques, notamment pour ce qui concerne l’ ahl al-Kitâb , à savoir les chré- tiens et les juifs. À ce sujet, les recherches menées dans les différents centres d’archives dans le pourtour méditerranéen montrent bien que le waqf est une pratique couramment utilisée par des femmes et des hommes appartenant à ces communautés-là à partir du moment où ils sont pubères, libres de dette et de leur personne (les esclaves sont a priori exclus ; toutefois, des recherches donnent des exemples contraires). Mais, au-delà des usages communautaires, c’est un outil qui traverse les frontières religieuses, par exemple dans la mesure où des locataires des propriétés immobilières et agricoles appartenant à une fon- dation waqf relèvent d’une communauté religieuse autre que celle du fondateur du waqf concerné (Sroor, 2010 : par exemple Jérusalem, ville multireligieuse, à la fin de l’époque ottomane où le mélange confessionnel auprès d’un même waqf , quant à la religion d’un fondateur et à celle des locataires des biens appar- tenant au waqf , est chose fréquente). Mais de quoi parle-t‑on exactement ? Bien qu’il s’agisse d’un outil sociétal complexe et évolutif, le waqf est simple quant à son dispositif. C’est la raison pour laquelle il a pu s’adapter et s’adapte encore aux besoins socio-politiques, économiques et religieux exprimés par des individus et des groupes qui l’uti- lisent comme outil afin d’intervenir dans la société et d’y laisser leur empreinte. Concrètement, le waqf fournit un cadre infrastructurel reconnu par les pou- voirs religieux et politiques dès les premiers siècles de l’islam, pour qu’un indi- vidu, femme ou homme, verse année après année, au nom du fondateur, des revenus d’un montant déterminé ou en produits agricoles au destinataire de son choix, d’où la possibilité de mettre en œuvre, à long terme, des stratégies sociales (Hénia, 1999) par le choix du bénéficiaire. Ce choix n’est pas négli- geable et dévoile, en effet, des réseaux socio-politiques du fondateur déjà en œuvre ou des réseaux nouvellement construits par l’acte de créer la fondation. Autrement dit, nous parlons ici de l’agentivité du fondateur qui intervient ainsi dans la société qui l’entoure, laissant son empreinte durant son vivant et après son décès car les mécanismes créés par l’établissement de son waqf continuent de fonctionner après la mort du constituant du waqf . Dans le même temps, le waqf donne au fondateur le pouvoir de garder intact un regroupement de ses propriétés qui, une fois établies en biens de rapport pour le waqf , ne peuvent pas, a priori , être vendues, hypothéquées, léguées ou autre- ment séparées de la structure du waqf . Or les actes qui documentent les transferts

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