Utopie méditerranéenne | Bromberger, Christian

Utopie méditerranéenne 1504 Lois sans le dire, « il y eut de nombreuses étreintes et des baisers, des larmes et des pleurs » ( ibid ., p. 233). Les saint-simoniens furent, au xix e siècle, les chantres de cette Méditerranée à la fois prometteuse sur le plan économique et harmonieuse sur le plan des valeurs. Dans Le Système de laMéditerranée (1832), Michel Chevalier écrit ainsi : « Désormais la Méditerranée doit être comme un vaste forum sur tous les points duquel com- munient les peuples jusqu’alors divisés. » ( Le Globe , 5 février 1832.) Mais c’est dans les années 1930 que ce « rêve méditerranéen » prit sa forme la plus aboutie à tra- vers les œuvres d’une brillante génération d’écrivains et d’hommes de lettres. Plusieurs revues de langue française, chacune ancrée dans une métropole riveraine de la mer, propagèrent cet idéal de « fraternité méditerranéenne ». Ce furent les Cahiers du Sud de Jean Ballard à Marseille (avec ses deux fameux numéros « L’Islam et l’Occident » et « Le Génie d’oc et l’homme méditerranéen »), Les Cahiers de la Barbarie d’Armand Guibert et Jean Amrouche à Tunis, Rivages d’Edmond Charlot et Albert Camus à Alger, Aguedal d’Henri Bosco à Rabat, ces œuvres exaltant une Méditerranée tout autant imaginaire que réelle, une Méditerranée, nous dit Albert Camus en 1937, à l’occasion de l’inauguration d’une Maison de la culture à Alger, « où l’Orient et l’Occident cohabitent. Et à ce confluent, poursuit-il, il n’y a pas de différence entre la façon dont vit un Espagnol ou un Italien des quais d’Alger et les Arabes qui les entourent […]. Nous sommes ici avec laMéditerranée contre Rome », Rome qui symbolise, dans les débats polémiques des années 1930, uneMéditerranée ancrée dans l’Antiquité impériale, à prééminence occidentale, latine et classique, par- ticulièrement affectionnée par les mouvements conservateurs et les régimes fascistes. C’est sans doute Gabriel Audisio, dans Jeunesse de la Méditerranée (1935) et Sel de la mer (1936), qui fut le chantre le plus exalté de cette commune « patrie méditerra- néenne » : « Non, écrit-il, la Méditerranée n’a jamais séparé ses riverains. Même les grandes divisions de la Foi, et ce conflit spirituel de l’Orient et de l’Occident, la mer ne les a pas exaltés, au contraire adoucis en les réunissant au sommet sen- sible d’un flot de sagesse, au point suprême de l’équilibre. » (Audisio, 1935, p. 21.) Et à l’image d’une Méditerranée romaine (il veut « remettre Rome “à sa place” ») il oppose celle d’une « synthèse méditerranéenne » : « À cette latinité racornie, j’oppose tout ce qui a fait la civilisation méditerranéenne : la Grèce, l’Égypte, Judas, Carthage, le Christ, l’Islam. » (Audisio, 1936, p. 94‑95.) Cette Méditerranée qui « vous mélange tout ça sans aucune espèce de pudeur », dit-il encore, se veut uni- verselle et c’est bien ce que revendiquent ces chantres du « rêve méditerranéen » : Ballard parle d’un « homme méditerranéen universaliste », Audisio d’une « patrie méditerranéenne portée par l’âme d’une Internationale des peuples de la mer, offerte en exemple au monde, à toutes les autres familles pour de plus vastes rassemble- ments » ( Ibid ., p. 122). « Utopie si l’on veut, poursuit Audisio. Mais l’utopie du jour, c’est l’oxygène de l’avenir. »

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