Utopie méditerranéenne | Bromberger, Christian

Utopie méditerranéenne 1503 Utopie méditerranéenne L’utopie méditerranéenne, campant un monde de rencontres harmonieuses entre les cultures, de convivenza , de « métissage entre l’Orient et l’Occident », trouve son ancrage et sa justification dans quelques épisodes mémorables, et fortement idéalisés, d’une histoire partagée : l’Andalousie, au temps du califat omeyyade de Cordoue, dont « nous portons en nous, disait Jacques Berque, à la fois les décombres amoncelés et l’inlassable espérance » (1981, p. 43), le carre- four culturel que fut Palerme sous le règne, au xii e siècle, du Normand Roger II, puis, au xiii e siècle, de son petit-fils, l’empereur germanique Frédéric II. Le pre- mier commanda au grand géographe arabe al-Idrîsî, qui avait fait ses études à Cordoue, un planisphère représentant le monde, accompagné de quelque 2 500 noms, œuvre que l’on appela al-kitâb al-Rujâri (« Le livre de Roger ») ; le second savait le grec, le latin, l’italien, le provençal, la langue d’oïl, l’arabe et sans doute l’hébreu ; il composa des poèmes en italien et en provençal, et un traité de fauconnerie en latin (Kantorowicz, 2000). Plus près de nous sociolo- giquement et historiquement, cette Méditerranée des confluences et des ren- contres s’est incarnée dans ces villes-ports et ces cités-mondes cosmopolites que furent, dans la seconde moitié du xix e siècle et au début du xx e , avant le durcissement des nationalismes et des blocs, Istanbul, Smyrne, Salonique, Beyrouth, Alexandrie, Alger, Trieste, Marseille, etc. De cette Méditerranée des coexistences tolérantes, des rencontres, de l’interpénétration des œuvres cultu- relles émergent quelques personnages emblématiques. On pense à Ibn Rushd, Averroès, cette lumière andalouse, traducteur et commentateur, l’« auteur du grand commentaire », disait Dante, de l’œuvre d’Aristote qu’il transmit, selon Alain de Libera (1999, p. 26), à l’Occident chrétien. Il faut aussi citer le philo­ sophe majorquin, des xiii e et xiv e siècles, Raymond Lulle qui apprit l’arabe à 33 ans et présente, dans son Livre du Gentil et des trois sages , trois profes- seurs, l’un juif, l’autre chrétien, le troisième musulman qui exposent chacun à tour de rôle à un Gentil les fondements de leur foi. « À l’heure du congé », nous dit Lulle (1968, p. 119), alors que le Gentil s’est converti à une des trois

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