Transe | Zillinger, Martin

Transe 1470 Pour les praticiens comme pour les observateurs, la transe et la possession soulèvent des questions sur la formation de la subjectivité et sur la responsabilité. Durant la dissociation (dis-sociare) , la personne en transe peut s’éloigner de son moi socialement construit (Crapanzano, 1977) et laisser place à des puissances intrusives qui se manifestent par l’intermédiaire de son corps. L’état de distan- ciation par rapport à soi précède la possession proprement dite et est formulé et annoncé par des visions et des rêves, associés à une expérience de crise men- tale ou physique, révélée par des lacunes dans la remémoration de ses propres faits et gestes, et imputée à la sorcellerie, à la magie, au mauvais œil ou à une rencontre avec des êtres surnaturels. Tous ces états contiennent des éléments d’altération et peuvent culminer en une aliénation, dont la personne en transe ne garde aucun souvenir, lorsque les puissances étrangères dispersent les facul- tés du sujet qu’elles investissent. Selon la théorie de la liminalité de Turner, la transformation rituelle de la personne est marquée par l’ambiguïté. Durant la transe, l’éloignement de soi et la marginalisation se manifestent par exemple par un « comportement thé- riomimétique » parmi les tarentulés du Sud de l’Italie (De Martino, 1961) et chez les ‘Isâwâ au Maroc. Les deux miment des forces de la nature et trans- gressent les normes sociales et religieuses établies. Tandis que les premiers représentent les mouvements d’araignées, les autres miment principalement des esprits de lions, chameaux et chacals (Zillinger, 2010). D’autres caractéris- tiques que l’on retrouve au seuil de la transe comprennent les souffrances et les épreuves à subir. En outre, la transe est marquée par le travestissement, parfois littéralement par un changement de vêtements effectué à la demande des esprits possesseurs, mais aussi par un changement de genre sanctionné par le rituel, par exemple chez les devins au Maghreb ou chez les hommes possédés dans le culte de l’ argia en Sardaigne (Gallini, 1988). La transe ne va pas toujours de pair avec une inversion de statut et de rang comme l’a suggéré Turner, mais l’expérience d’une communitas au cours d’un long rituel nocturne en constitue certainement un aspect important. L’initiation à des cultes à transe est souvent liée à des étapes liminales dans la progression vers l’âge adulte, telles que la puberté ou le mariage. En dépit de toutes les critiques valables qui peuvent être adressées au travail fondateur d’I. M. Lewis (1989) sur la « religion extatique », les questions de race, de classe et de genre occupent une place importante dans les cultes de possession. Bien que nombre de rituels soient pratiqués principalement par des femmes, l’exper- tise et le pouvoir rituels sont souvent attribués à des individus ou à des groupes perçus comme ayant une certaine expérience dans la gestion de la liminalité ou évoluant dans les marges de la société, ce qui comprend les personnes issues des plus basses classes ou, dans le cas de l’Afrique du Nord, d’anciens esclaves

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