Stéréotypes | Driessen, Henk

Stéréotypes 1405 morale et qu’ils dressaient le portrait des peuples méditerranéens en fonction de leurs propres désirs et dégoûts, de leurs propres espoirs et craintes. Un stéréotype particulièrement ancien et tenace encore aujourd’hui concerne le prétendu Homo islamicus des pays méditerranéens du Sud et de l’Est. Ce trope instaure l’islam comme clé essentielle permettant de comprendre les sociétés d’Afrique du Nord et du Levant. De cette manière, la religion est extraite d’un ensemble complexe et changeant de traits de caractère, et est utilisée, avec une islamophobie à peine dissimulée, pour expliquer toute une palette de compor- tements chez les gens ayant ce dénominateur commun. Bien sûr, des contre-arguments peuvent être avancés face à de tels stéréo- types. Par exemple, dans son œuvre Italienische Reise (Voyage en Italie) , Johann Wolfgang von Goethe s’opposait à l’affirmation de son compagnon de voyage Volkmann qui déclarait, en 1787, qu’il y avait entre 30 000 et 40 000 fainéants à Naples. Goethe considérait qu’il s’agissait là de l’attitude typique d’un habitant du Nord ayant une philosophie du travail extrême. Il discuta avec ses amis sur place, inspecta les rues et les places, mais ne put trouver aucun fainéant parmi les classes populaire et moyenne. Il ne vit que des gens très occupés, qui atten- daient parfois des clients ou qui se reposaient après un dur labeur. Il vit même de tout petits enfants portant des paniers remplis de poissons ou ramassant des copeaux de bois dans les lieux de travail des charpentiers, ainsi que du bois rejeté par la mer sur le rivage. Sa description de la vie publique à Naples était donc proto-ethnographique, empirique et souvent nuancée. Il tentait d’expliquer les différences frappantes entre Italiens et habitants de l’Europe du Nord par le biais de l’observation personnelle et en se référant plus largement au contexte socioculturel. Le portrait général dressé par Goethe révèle des Napolitains tra- vailleurs et démonstratifs. Il est parfois difficile de délimiter précisément la littérature de voyage et les travaux académiques lorsqu’il s’agit de proposer des généralisations abruptes sur les peuples de Méditerranée. Dans les années 1950, le politologue et sociologue Edward C. Banfield a imputé le sous-développement économique de la région du Mezzogiorno à ce qu’il appelait le « familialisme amoral » ; l’anthropologue Julian Pitt-Rivers a écrit que les Andalous étaient les plus fieffés menteurs qui soient ; et l’historien Carroll Quigley a formellement défini la « structure de la personnalité méditerranéenne » (circum-Mediterranean personality structure) comme empreinte de machisme, de fatalisme, d’honneur et d’une pensée récur- rente pour la mort. Heureusement, la majorité des études anthropologiques sur les sociétés méditerranéennes ne sont pas si radicales et teintées d’idéologie. D’ailleurs, dans les années 1980, plusieurs anthropologues ont de plus en plus critiqué le syndrome de l’honneur et de la honte, qui leur semblait être une sorte de passeport pour intégrer le milieu de l’ethnographie méditerranéenne. Il y eut

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