Reclus, Élisée | Cattedra, Raffaele

Reclus, Élisée 1339 manière à « les compare[r] naturellement à ces replis du cerveau dans lesquels s’élabore la pensée de l’homme » ( ngu , I, p. 47). La Méditerranée de Reclus, ainsi que sa propre géographie, ne s’affirme pas par une « représentation figée » (Fabre, 2000, p. 45). S’inscrivant dans une vision évolutionniste (ce qui, du reste, constituera une des critiques à son encontre), à la fois historique et révolution- naire, Reclus dresse un cadre combinant le temps long de la terre et le temps social, économique et politique des civilisations, en y intégrant les mouvements et les sédentarisations humaines. Les îles, ces « perles de la mer » ( La Terre , II, p. 651), en sont les protagonistes, du fait que leur « importance [a pu être] bien plus considérable que la terre même sur laquelle l’homme a vécu » ( ngu , I, p. 33), comme ce fut le cas à un moment de l’Histoire pour le « cortège » des îles de la Grèce, les Baléares, Chypre ou l’île d’Elbe. Il souligne aussi leur fragilité : l’éloi- gnement et l’isolement que les îles ont pu subir à la suite d’un changement his- torique, d’une mutation des conditions économiques ou écologiques, comme il le montre à propos de la Sardaigne. Il évoque enfin le processus de descente de la population vers les côtes qu’à son époque commençaient à connaître nombre d’îles et de contrées de la Méditerranée (la Sicile, l’Andalousie…) : un phéno- mène destiné à s’amplifier au xx e siècle et qui prendra le nom de « littoralisation » . C’est à partir de là qu’il développe l’idée de la « mer du Milieu » tel un vec- teur. De Gibraltar aux Dardanelles, en passant par Suez, les dispositifs de cette mer de jonction, reliant terres et continents, se déclinent chez Reclus à partir de vecteurs naturels comme isthmes et détroits, pour s’étendre aux passages, ponts et liens que les hommes ont creusés et bâtis. Pourrait-on alors envisager que l’énoncé braudélien des « plaines liquides » serait l’héritier de l’interpréta- tion reclusienne de la Méditerranée tels un vecteur et un espace de communi- cation ? Et peut-on de même arguer que la formule d’« espace-mouvement » et le postulat d’une Méditerranée saisie tel un réseau « de routes et de villes » – un concept que Braudel (1949, voir éd. 1990, I, p. 338) restitue lui-même à Lucien Febvre – ne seraient autres que des emprunts, certes plus argumentés, à la pen- sée de Reclus ? Toutefois, il est inutile de s’attarder à rechercher des références de ce dernier dans la monumentale bibliographie de La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II de Braudel (1949), car il s’inspire expli- citement des Principes de géographie humaine de Vidal de La Blache (1922). En effet, Florence Deprest (2002, p. 88) soutient que « les idées de Reclus ont transité jusqu’à Braudel, en ayant inspiré d’autres auteurs auxquels il se réfère ». Or il s’agit pour Reclus, par son esprit empiriste et progressiste, épris de modernité et voisin de la mouvance des saint-simoniens, d’évoquer les projets au centre des débats de son temps sur les grands ouvrages tels que la réalisation de grands ponts, viaducs, canaux, tunnels : le canal de Suez en premier lieu, le percement de l’isthme de Corinthe, mais aussi un pont sur le Bosphore, un

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