Poésie | Baquey, Stéphane

Poésie 1276 opérant par négociations culturelles aux implications parfois politiques avec les traditions poétiques locales, elles-mêmes transformées dans le nouveau cadre moderne. Il en est ainsi de la poésie arabe, qui, peu à peu, s’éloigne de l’exem- plification stricte des modèles métriques classiques, sans toutefois toujours les abandonner. Dans ce contexte, les europhonies, principalement la francopho- nie dans le monde arabe méditerranéen, ont donné lieu à des œuvres poétiques marquées tout à la fois par la modernité occidentale et par un ancrage cultu- rel spécifique : tels, au Liban, G. Schehadé et S. Stétié ; en Égypte, E. Jabès et G. Henein ; en Algérie, M. Dib et J. Sénac ; au Maroc, M. Khaïr-Eddine et A. Laâbi ; ou en Tunisie, A. Meddeb… Plus largement, il serait possible de distinguer, sans que cette répartition soit exclusive, différentes postures au sein de la modernité, en privilégiant pour cela des œuvres citées et traduites d’un espace linguistique à l’autre. Certaines offrent de vastes synthèses culturelles : celles des Grecs C. Cavafy et G. Séféris ; des Français G. Apollinaire, P. Valéry, Saint-John Perse, Y. Bonnefoy et Ph. Jaccottet ; de l’Espagnol F. García Lorca ; des Italiens G. Ungaretti et E. Montale ; du Syro-libanais Adonis. D’autres se caractérisent par une attitude de plus grande rupture dans leur rapport au genre et à leur langue : les Français R. Char ou F. Ponge, le Grec O. Elytis, l’Italien A. Zanzotto, l’Algérien Kateb Yacine, le Libanais O. El Hage. D’autres voix sont plus soucieuses de la quotidienneté, sans que cela exclue, le plus souvent, une conscience politique : le Turc O. Veli, la Bulgare B. Dimitrova, l’Espagnol J. Gil de Biedma, l’Italien P. P. Pasolini, l’Israélien Y. Amichaï. Un statut privilé- gié doit être reconnu à des poètes communistes ou qui ont joué un rôle impor- tant de porte-paroles collectifs : le Français L. Aragon, le Turc N. Hikmet, le Grec Y. Ritsos et, plus récemment, le Palestinien M. Darwich. Tel Aragon dans Le Fou d’Elsa , leur conscience politique et historique, sans être réductible à un message militant, les a conduits à rassembler une mémoire poétique et cultu- relle à l’échelle de l’espace méditerranéen. Les évolutions actuelles de la poésie dans l’espace méditerranéen peuvent être analysées en considérant une double dynamique. D’une part, en chaque espace linguistique, peut être perçue une tendance soit à la résistance soit à la disso- lution des propriétés génériques associées à la poésie : depuis le maintien des formes métriques et du mode énonciatif lyrique, jusqu’à la recherche du pro- saïsme, du discours ordinaire, de l’hybridation des médiums, voire la revendi- cation d’une post-poésie. D’autre part, la Méditerranée, à travers l’organisation de festivals et de rencontres poétiques, l’édition d’anthologies, apparaît comme un espace effectif de circulation des poètes et des poèmes. On peut se deman- der si ce phénomène donne lieu à un enrichissement des différences, par la ren- contre des temporalités culturelles, ou bien, encore une fois, s’il entraîne une dissolution du discours poétique dans la traduction, dont un symptôme est la

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