Poésie | Baquey, Stéphane

Poésie 1275 en anglais (W. Jones), en français (A. I. Silvestre de Sacy) ou en allemand (J. G. L. Kosegarten). Le souci de transposition littéraire accompagne désormais les travaux didactiques et philologiques. C. Fauriel, qui a occupé à la Sorbonne, à partir de 1830, la première chaire de littératures étrangères, consacre son enseignement aussi bien aux poésies romanes, des troubadours à Dante, qu’aux chants popu- laires grecs et serbes. Il avait auparavant traduit, en 1824, les Chants populaires de la Grèce moderne , dont le retentissement européen a contribué à renforcer le mouvement philhellène. D’une manière générale, l’idée de littérature popu- laire (Herder), si elle crée parfois des distorsions historiques, en particulier dans l’étude de la poésie médiévale, contribue à donner quelque prestige, pour l’étude et l’appropriation créative, à des traditions poétiques jusque-là négligées. Elle permet aussi à ces traditions de jouer un rôle dans la construction culturelle de nations émergentes. Le romancero viejo espagnol, qui a été à l’origine, pendant la période classique, de la construction d’une matière fictionnelle mauresque, est ainsi relu comme un ensemble anonyme de fragments narratifs épiques. Surtout, c’est la poésie orale de la péninsule Balkanique, jusqu’ici négligée dans la géogra- phie culturelle méditerranéenne, qui attire l’attention. Lui correspond, au cours du xix e siècle, une initiative culturelle de la part des représentants des renais- sances nationales chez les Slaves du Sud, les Grecs et les Albanais, mais aussi, ailleurs, en provençal ou en catalan. Exemplaire est la figure de Vuk Karadžić (1787‑1864), qui, tout à la fois, participe au mouvement national serbe, rédige une grammaire de sa langue et collecte des chants populaires qui, comme les traductions de Fauriel, ont rencontré un intérêt en Europe occidentale. Goethe a consacré plusieurs articles à leur traduction allemande. Vont ainsi de pair, dans la prise en compte de ces poésies dites « populaires », une reconsidération de l’histoire culturelle, l’émergence d’entités nationales et le développement d’une étude de la poésie philologique et, progressivement, ethnographique, dans le cadre en formation d’une anthropologie de la culture. Ainsi l’une des avancées décisives pour l’étude de la poésie orale et de la poésie épique, y compris homé- rique, a-t‑elle été accomplie à la suite des enquêtes menées par Milton Parry en Yougoslavie, dans les années 1933‑1935. Au xix e , puis au xx e siècle, des littératures nationales se sont constituées dans les différents États issus de la dislocation de l’Empire ottoman, de la colonisa- tion puis de la décolonisation française, anglaise, italienne et espagnole, et de la création d’Israël. Le modèle de formation des poésies est alors marqué par un fort mimétisme au regard de la poésie qui s’écrit à Paris, mais aussi dans d’autres capitales culturelles anglo-saxonnes, allemandes et russes. La moder- nité poétique est caractérisée par une remise en cause des formes traditionnelles, jusqu’à aboutir à une relative indétermination générique. Par-delà le mimé- tisme se définissent des stratégies d’appropriation et d’hybridation discursives,

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=