Peinture | Pouillon, François

Peinture 1182 pigments d’une corrosion inexorable, la peinture mortuaire égyptienne d’époque tardive dite des « portraits du Fayoum » en est un témoignage particulièrement remarquable. On y voit à quoi purent atteindre l’art du modelé, la qualité du chromatisme et aussi le rendu de l’expression vécue et de la personnalité indivi- duelle, ce que l’on trouve encore dans quelques décors de tombes et, bien sûr, dans les fresques de la villa des Mystères à Pompéi – miraculeusement sauvegar- dées, elles aussi, fût-ce par une catastrophe naturelle qui fit d’innombrables vic- times. Pline (23‑79), qui a lui-même succombé dans cette catastrophe, rappelait dans un texte célèbre une tradition relatant la prodigieuse maîtrise technique du peintre Zeuxis (iv e siècle av. J.‑C.) capable de reproduire des raisins de façon si réaliste que les oiseaux eux-mêmes s’y trompaient et venaient pour les picorer (Reinach, 1985, p. 212‑219). Les mosaïques du musée d’Art antique de Naples, dont on trouve un écho dans celles du musée du Bardo à Tunis, donnent une idée de ce que pouvait être une peinture monumentale que nous ne pouvons qu’imaginer à partir des bas-reliefs. Sans doute ne faut-il pas constituer en unanimisme culturel les productions esthétiques sur un espace qui, pour être unifié politiquement, n’en était pas moins traversé par des divergences culturelles profondes. Pourtant, il est indis- cutable que la récurrence, dans l’Antiquité, des polythéismes autorisait un réel pluralisme dans les représentations du sacré et ouvrait donc à une gestion libé- rale des images. Force est de constater que c’est avec le triomphe dans cet espace des grands monothéismes, et leur imbrication avec les pouvoirs impériaux et locaux, que se construit la grande dissension sur la question de la peinture. Ils se heurtaient tous en effet à la même question : peut-on représenter un Dieu unique et les images peuvent-elles aider à accéder à la piété sans dégénérer dans l’idolâtrie ? L’iconoclasme qui constitue un pôle radical de ces différents mono- théismes remet en question la présence des images, non seulement dans l’espace de cultes, lieu traditionnel de constructions iconographiques particulièrement somptuaires, mais aussi dans l’espace public et jusque dans le secret des maisons. On ne saurait faire la géographie précise de cette grande fitna . C’est que, au cours de l’histoire, le débat sur la figuration traverse en écho tous les espaces religieux. Le christianisme qui s’installe en gros au nord de la Méditerranée est divisé entre une Église d’Orient, qui exclut pendant certaines périodes les images, et une Église d’Occident, qui cherche à les apprivoiser dans une visée pédagogique, jusqu’à les rendre centrales au culte et à la célébration du pouvoir politique. Mais l’Occident va lui-même connaître de grands autodafés à la suite des différentes réformes « protestantes ». Au sud, l’islam, qui s’affirme comme radicalement opposé aux images reproduisant des êtres vivants, au moins pour ce qui concerne les lieux de culte, sait laisser en perpétuer la pratique dans ses recoins privés, aristocratiques ou populaires, ou dans les cultes chrétiens qu’il

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