Paysage | Sintès, Pierre; Cattaruzza, Amaël

Paysage 1170 nombreuses. À cela, il faut ajouter la marque de vents violents, surtout lors de la période estivale : bora dalmate, meltem grec, mistral provençal, ou sirocco venant des côtes maghrébines. Un tel environnement suscite un ensemble de contraintes et nécessite l’adap- tation des sociétés qui, par la mobilité (transhumance, nomadisme) ou l’aména- gement (irrigation), cherchent à tirer profit des opportunités qu’il peut offrir. Ces pratiques impriment leurs marques sur les paysages. L’élevage itinérant peut conduire à la dégradation de la végétation climacique pour laisser place à des for- mations dégradées : garrigue et maquis, ou, plus au sud, steppes et déserts. Les paysages ruraux sont traditionnellement dominés par les oppositions ager - saltus , c’est-à-dire entre espaces cultivés et espaces de pâturage. Les premiers sont le lieu de la célèbre et aujourd’hui caduque trilogie méditerranéenne qui associe le blé, la vigne et l’olivier. Au sein des espaces cultivés, le contraste est marqué entre regadio (périmètres irrigués) et secano (cultures sèches). L’irrigation, menée en général collectivement, permet une augmentation importante des rendements. Elle conduit à la mise en place de paysages ruraux hautement anthropisés, dont la huerta est devenue le symbole le plus emblématique. Des règles collectives parfois très lourdes permettent d’y gérer le partage de l’eau et l’emploi des infra­ structures. Ce type de paysage peut aller jusqu’à couvrir de très vastes ensembles, comme sur le littoral espagnol où les régions du Levant présentent l’un des pre- miers jardins méditerranéens, avec plus de 100 000 hectares d’agrumes pour la seule province de Valence en 2013. On retrouve encore de vastes périmètres irrigués en Provence (plaines du Bas-Rhône et vallée de la Durance), dans le Languedoc ou bien dans la Conca d’Oro de la région de Palerme, dans le Comtat Venaissin et la plaine de Corinthe. Sur la rive sud, les plus vastes sont la ghouta de Damas, le haouz de Marrakech ou le dir de Fès pour les régions d’irrigation traditionnelle, le gharb marocain pour la mise en valeur récente. C’est précisément la rareté des ressources en eau qui est souvent avancée comme une explication de la force des communautés paysannes et de l’extension de l’habitat groupé, largement répandu dans l’aire méditerra- néenne. Les paysages non irrigués sont de leur côté soumis au manque d’eau et aux cultures extensives ou à l’élevage. La conciliation de cet ensemble hétéroclite, où la variété des façons culturales prime, constitue un moyen de combattre l’aléa pour des communautés paysannes, qui tirent ainsi parti de la diversité des ter- roirs imposée par la variété du relief. L’urbanisation est, elle aussi, modelée par la contrainte topographique. À Gênes ou Alger, Marseille ou Constantine, on retrouve la même nécessité de gérer des sites escarpés (tunnel, corniche, pont). La ville d’Athènes monte aujourd’hui à l’assaut des hauteurs qui circonviennent son bassin, le lékanopédio , et se déverse même dans les plaines voisines de Mégare ou de Mésogée. Ailleurs, l’extension des aires urbaines sur les espaces de plaine

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