Musique | Stokes, Martin

Musique 1044 prédominait dans le Sud. Le chant dans le Nord comporte des moments privi- légiés de détente et collectifs, quand ceux du Sud valorisent la tension et l’indi- vidu. Alan Lomax a remarqué ces mêmes schémas en Espagne et a développé une théorie qui établit un lien entre le style de musique folklorique et les modes de subsistance, les relations hommes-femmes et les formes élargies d’organisa- tion sociale. À l’échelle mondiale et en utilisant les ressources informatiques de l’époque, Lomax a conçu une méthode qu’il appelle cantometrics et dresse une carte musicale de la région méditerranéenne. Elle est divisée en deux : d’un côté, la dynamique de groupe du Nord et, de l’autre, l’autoritarisme du Sud, conçu par Lomax comme découlant d’une influence de l’islam. La méthode de l’ethno­ musicologue Lomax, entre autres, montrait comment le style vocal peut être connecté à d’autres processus culturels et sociaux, et proposait un modèle influent de comparaison musicale interculturelle. En développant les idées de Lomax, l’ethnomusicologue italienne Tullia Magrini, après des recherches en Crète et dans le Sud de l’Italie, a émis l’idée que la musique pouvait être liée à la répartition du travail entre les hommes et les femmes en Méditerranée. Les traditions de sociabilité masculine sont façon- nées par les tensions entre l’agriculture et le pastoralisme d’une part, et le pré- tendu complexe « de l’honneur et de la honte » d’autre part. D’un point de vue musical, cela crée des pratiques vocales dans la sphère masculine qui sou- lignent la dimension de la compétition (comme on peut le voir, par exemple, dans les duels de chants comme les spirtu pront à Malte, les mandinadhes en Crète et les compétitions de chansons aşık en Turquie) et de la solidarité sociale (comme le muabet dans la partie albanaise de la région du lac Prespa ou le chant a tenore en Sardaigne). Les femmes, marginalisées dans le schéma traditionnel de la Méditerranée, assument le fardeau de la honte et ont des rôles totalement dif- férents dans le domaine de la musique. Tullia Magrini décrit leurs rôles comme liés au « travail de la douleur » (il lavoro del dolore) . En Méditerranée, ce « travail de la douleur » s’illustre généralement dans les chants de lamentations des femmes. Mêlant le sacré et le profane, et étant ainsi en opposition avec les institutions religieuses prédominantes, les lamentations sont des phénomènes complexes. Elles expriment la peine, maintiennent les relations sociales lors des traumatismes collectifs et permettent d’évacuer les frustrations qu’entraînent la domination des hommes et autres inégalités sociales. Les lamen- tations funèbres et les chants des femmes lors des mariages sont étroitement liés, surtout dans les Balkans. Le départ des femmes de leur maison natale et l’arrivée dans celle de leur futur mari sont des moments délicats de traumatisme social qui peuvent s’apparenter à la mort. Le flot d’émotions doit être extériorisé et contrôlé, les conflits doivent être exprimés et les normes régissant les relations de genres doivent être respectées. Tullia Magrini et d’autres chercheurs ont constaté qu’il

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