Monothéisme | Boudignon, Christian

Monothéisme 969 dieux, mais qu’il existe parmi eux  2 . C’est donc sur ce terrain hénothéiste (où se dégage la figure d’un dieu suprême qui règne sur d’autres dieux) que va appa- raître la rupture profonde de la révolution monothéiste. Désormais, tous les ver- sets hénothéistes que nous venons de citer, difficiles à dater, mais probablement antérieurs au vi e siècle av. J.‑C., vont faire problème, parce qu’ils seront sentis comme opposés à la nouvelle conception exclusive de la religion, monothéiste. Les raisons de cette révolution « cultuelle » restent obscures. N’est-ce pas une réponse d’exilés méditerranéens dans l’intérieur des terres de la Mésopotamie qui refusent de reconnaître la défaite de leur dieu national ? Dans un coup de théâtre théologique surprenant, comme en fait l’hypothèse André Lemaire, dans Naissance du monothéisme , ils en viennent à déclarer que c’est leur dieu, le dieu universel, qui est le dieu de Cyrus, le roi des rois perse. Le dieu des Israélites vain- cus prenait ainsi la place du dieu des vainqueurs. On lui fait dire dans le second livre d’ Isaïe : « Ainsi parle Yahweh à son messie, à Cyrus que je tiens par la main droite… » ( Isaïe , xlv, 1.) Cyrus est l’instrument au service de Yahweh ! Et les dieux des vainqueurs, les dieux Bel ou Nébo, ne deviennent que des statues de bois, des idoles, incapables de mouvement : « Bel a fléchi, voici Nébo qui penche, leurs portraits sont confiés à des animaux, à des bestiaux ! Ce que vous portiez haut, le voici pris en charge, fardeau pour montures épuisées, qui penchent et fléchissent en même temps. » ( Isaïe , xlvi, 1‑2.) La naissance du monothéisme s’accompagne d’un mouvement de refus de rendre un culte à une image divine : toute image n’est qu’un eidôlon , ce qui signifie en grec un « simulacre », une « fausse apparence », une idole . C’est ce lien entre une position théorique : « il n’y a qu’un seul Dieu », et une position pratique : « ne faisons pas d’image de culte de Dieu », qui a peut-être permis à cette révolution monothéiste de triompher. Car ce ne fut pas la seule tentative monothéiste de l’histoire humaine, mais ce fut la seule à perdurer. Ni la théologie solaire du pharaon Akhenaton, ni la réforme religieuse de Zoroastre n’ont abouti à une croyance religieuse pérenne en un seul Dieu, à l’exclusion des autres. Seule cette invention d’exilés judéens en terre babylonienne finit par triom- pher, avec leur retour en Judée aux v e et iv e siècles, la construction progressive d’un nouveau temple à Jérusalem et la domination des prêtres dans la religion nouvelle. Mais il fallut attendre presque 400 ans pour que ce qui n’était à l’ori- gine que les idées religieuses de quelques Judéens devienne la norme du judaïsme. C’est à ce moment-là que l’invention de Babylone se « cristallisa » en un dogme général du judaïsme. Ce sera notre seconde étape. 2. Nous laissons de côté le problème de l’interprétation d’ el , qui est dans le panthéon d’Ougarit, le nom du dieu suprême : El, mais qui a été compris autrefois comme désignant collectivement la divinité (en hébreu : el ), d’où la traduction en grec : « dans l’assemblée des dieux ».

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