Mille et Une Nuits, Les | Garcin, Jean­Claude

Mille et Une Nuits, Les 940 une production authentique de l’aire méditerranéenne égypto-syrienne dans laquelle elle a pris sa forme définitive, mais non sans que l’étude des rap- ports avec les autres aires, d’Europe ou du Maghreb, n’apporte à l’historien des indications sur l’évolution du recueil et sur sa signification changeante. Nous ne savons pas quel était le nom du cheikh du xviii e siècle qui a com- posé le recueil (on peut l’appeler : « l’auteur de Bûlâq ») ; ses contemporains le connaissaient, bien sûr, mais à cette époque, seuls les auteurs d’écrits « sérieux » relevant des sciences religieuses ou de disciplines reconnues (belles-­ lettres, géographie, histoire, médecine, etc.) jugeaient nécessaire de mention- ner leur nom. Il reste que ce recueil est très bien construit, même s’il a pu être considéré comme un fourre-tout désordonné. Quand on en fait une lec- ture suivie, de conte en conte, on constate que le style est partout le même (« l’auteur de Bûlâq » est donc bien un auteur), et que la langue employée, souvent entrecoupée de vers, se tient à mi-chemin de l’arabe classique et du vernaculaire. Ce n’est pas un simple empilement de contes qui seraient des « contes populaires », mais une œuvre véritable rédigée en « moyen arabe » accessible au plus grand nombre vers ce milieu du xviii e siècle, dans l’aire égypto-syrienne. L’analyse des contes nous en apprend davantage sur les objectifs de « l’auteur de Bûlâq ». Depuis le xvi e siècle, les recueils des Mille et Une Nuits commencent par un certain nombre de ces contes que les traductions d’Antoine Galland ont fait connaître aux Européens dès 1704 (Sermain et Chraïbi, 2004), à partir d’un manuscrit incomplet de la Bibliothèque nationale de Paris. Ce manus- crit a été édité en 1984 par un savant irakien, Muhsin Mahdi. C’étaient des contes du xv e siècle dont on voit bien que « l’auteur de Bûlâq » s’est efforcé de corriger tout ce qui lui paraissait moralement inadmissible selon les critères de la loi religieuse (recours à la magie, amour des garçons) ou des convenances sociales, comme d’ailleurs Galland l’a également fait dans ses traductions à par- tir d’autres critères personnels. Mais si nous pouvons juger des manipulations de « l’auteur de Bûlâq » sur ces contes du xv e siècle dont nous avons le texte initial, nous risquons d’être dépourvus de repères pour les autres contes, postérieurs ou pas. C’est ici que le Maghreb peut être mis à profit dans la recherche. En 1824, l’orientaliste allemand Maximilian Habicht commence à publier à Breslau une édition des Mille et Une Nuits , appelée depuis « édition de Breslau », très particulière. Il insère en effet, dans le conte-cadre de Shahrazâd et du roi, des versions anciennes de contes que le docte juif tunisien, Mordecai Ibn al-Najjâr, a col- lectées pour lui au Maghreb depuis 1816 (Ibn al-Najjâr collecte également d’autres genres de textes pour d’autres clients) (Valensi, 2008). L’« édition de Breslau » a été dénoncée avec vigueur dans le monde orientaliste : c’était

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