Métropole | Peraldi, Michel

Métropole 931 modernes, en contrôlant et concentrant les flux d’informations stratégiques dont ces économies vivent désormais. Les villes « globales » d’aujourd’hui ne sont donc pas exactement des villes impériales, elles concentrent simplement les sièges de commandement des firmes, les nœuds de réseaux, matériels et immatériels. Si l’on s’en tient à cette définition, aucune des villes méditerranéennes aujourd’hui n’entre dans ce club fermé des métropoles mondiales, ni même ne participent du système des villes satellites que ces métropoles rassemblent (planche XXIX). D’ailleurs, cette particularité met en évidence le caractère péri- phérique des économies méditerranéennes, y compris sur la rive nord. Aucun des « grands » ports méditerranéens n’entre en effet dans le système satellite de ces villes mondiales, pas davantage Marseille que Barcelone, Gênes ou Naples, même si la fonction portuaire reste une machine à produire de la croissance urbaine. Marseille, par exemple, est très exclusivement un port pétrolier (70 % du trafic), et même si Naples ou Barcelone comptent dans le trafic mondial des containers, c’est très souvent un commerce de redistribution du grand trafic mondial de containers qui passe par Anvers/Rotterdam, Baltimore ou les grands ports asia- tiques, Hong Kong, Singapour, Kyoto. Pas de ville mondiale en Méditerranée donc ? Non, si l’on s’en tient aux critères formels de l’économie mondiale tels qu’ils sont décrits par les économistes. Mais si l’on intègre des économies moins formelles, des réseaux moins « établis » et des bourses informelles du commerce, alors Istanbul est pleinement, fortement, l’une de ces villes mondiales. Elle en a sans aucun doute les dimensions, en s’acheminant inexorablement vers les 20 millions d’habitants, l’étendue, et la vibration, sociale et culturelle. Digressons : une métropole mondiale est aussi un formidable concentré d’énergie et de créa- tivité, parce qu’elle offre justement ce que les réseaux n’offrent pas : la conti- guïté spatiale, la perspective de porosités multiples, une vertigineuse ouverture en contact physique à la diversité du monde. La métropole est nécessairement cosmopolite, à la fois parce qu’elle rassemble des fragments de communau- tés enlevées à leurs terres d’origine – la ville y est faite de minorités juxtaposées sans principe majoritaire –, mais également parce que cette ouverture multiplie les mixités, les métissages, les hybridations, fait de l’« homme marginal », un pied dans chaque monde culturel, au vieux sens donné par l’école de Chicago à ce terme, le citadin modal. À ce titre donc, Istanbul est ville mondiale parce qu’elle rassemble, de façon minoritaire, tous les fragments de peuples arrachés aux empires, depuis les Algériens, Marocains, Tunisiens, Sénégalais jusqu’aux Chinois Ouïgours, Turkmènes, Tadjiks, Afghans, Iraniens, Irakiens, Syriens, qui y viennent, au nom du commerce plus que de l’islam, en passant ou pour y rester. Istanbul est donc ville mondiale, au sens strict du terme, parce qu’elle concentre des réseaux, des sièges stratégiques, des logistiques de circulation, des vibrations et des énergies qui ont bien le monde pour échelle. Cependant, à la

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