Mer | Driessen, Henk

Mer 914 à la grande Méditerranée. Jusqu’à l’arrivée de la navigation motorisée, le trafic maritime s’y faisait essentiellement par cabotage, une forme de navigation côtière sur de courtes distances avec de petites cargaisons. Dans la navigation préin- dustrielle, la vue et les sons jouaient un rôle vital comme outils d’orientation. Compte tenu de son immensité, de sa profondeur, de son caractère chan- geant et liminal, on a souvent prêté à ce paysage marin un rôle ambivalent sinon complètement négatif dans les cosmologies méditerranéennes. Jusqu’au xviii e siècle, qui marque une rupture dans le regard que portent les élites d’Europe occidentale sur la mer, celle-ci a surtout inspiré des sentiments de peur et d’hor- reur. Dans l’Ancien Testament, la mer est décrite comme un gouffre obscur et sans fond contenant les reliques du Déluge. Cette vision ancienne de la mer, comme métaphore du mal, de la catastrophe et de l’étrange, se retrouve dans la conception courante au Moyen Âge chrétien d’une mer royaume des horreurs et demeure des monstres. Une conception différente de cet élément comme espace de liberté, d’aventure et d’opportunité n’a jamais été complètement absente, comme en témoigne l’ Odyssée . Malgré ses tempêtes, monstres et tourments, elle a permis les voyages missionnaires de saint Paul et la diffusion du chris- tianisme. Pour les Pères de l’Église, surtout Augustin d’Hippone, la mer était à la fois source de vie et royaume de mort. La relation entre l’islam et la mer est encore plus problématique que celle du christianisme. Cela apparaît non seu- lement dans les textes religieux tels que le Coran et les hadiths, les proverbes et les récits de voyage, mais également dans le développement plutôt limité de la culture maritime sur les rivages du Sud et de l’Est de la Méditerranée, même si, par ailleurs, les navigateurs arabes – notamment ceux du golfe Persique et de la mer d’Oman – ont été à l’origine d’innovations très importantes dans l’his- toire de la navigation. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le développement progressif d’une percep- tion à prédominance esthétique, récréative et romantique de la mer Intérieure, qui atteint son point culminant dans le tourisme de masse sur les plages médi­ terranéennes. L’introduction de navires plus grands et plus rapides, de la puissance mécanique, de techniques sophistiquées, a considérablement réduit l’immensité de la mer et les dangers de la navigation. Les progrès en technologie navale, en océanographie et en prévisions météorologiques ont conduit à un accroissement de la connaissance et du contrôle de la mer ainsi qu’à une disparition progres- sive de la prégnance des croyances et des pratiques religieuses dans les relations de l’homme à la mer. La diffusion de la perception idyllique d’une mer bienveil- lante – souvent exprimée dans les peintures, les poésies, les belles-lettres, la pho- tographie et le cinéma –, au détriment d’une perception menaçante et hostile de la mer, semble liée à ces développements.

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