Mégapole | Ilbert, Robert

Mégapole 910 un théâtre ». Plus encore, ces hétérotopies – présentes dans toutes les cultures – créent « un autre espace réel, aussi parfait, aussi méticuleux, aussi bien arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon » (Foucault, conférence de 1967 reprise dans Dits et écrits , IV, 1994). Cet objet fuyant mais indéniablement présent se retrouve chez Henri Lefebvre et chez Marc Augé (1992), et le programme Mégapoles permet d’en dessiner les contours. Ville-monde inscrite dans la culture et l’espace, la mégapole relève du domaine des hétérotopies : Alexandrie peut n’être plus qu’un terrain vague envahi par les chiens, les soldats de l’expédition d’Égypte en foulent le sol avec d’autant plus d’appréhension et de respect qu’ils forment le gros d’une expédi- tion scientifique partie sur les traces d’Alexandre ; schéma reproduit tout au long du xix e siècle sur l’ensemble des rives (Bourguet et al. , 1988). Dès lors, la mégapole trouve sa place dans l’analyse régionale par un simple jeu de changement d’échelle. Les cités de Méditerranée sont des mégapoles quand elles présentent trois caractères : a) l’urbanité ; b) la taille (et au-delà, l’hinter- land qui, seul, permet de caractériser le « méga-» ; c) la durée (et la continuité). Mais, dans ces mêmes conditions, le mot « mégapole » échappe à l’environne- ment purement méditerranéen pour devenir un « concept » . Le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (Lévy et Lussault, 2003, p. 609‑610) signale ainsi que « mégalopole, métropole, mégapole et giga- pole sont quatre objets géographiques fortement liés entre eux, qu’il convient de distinguer ». La raison en tient dans l’échelle du travail (ici régionale) et dans la fonction catalysatrice de l’urbanité. On ne peut parler de mégapole que lorsque leur environnement « fait monde ». Les cités de Méditerranée sont des méga- poles parce que la Méditerranée, elle-même, est un monde, et parce qu’elles pré- sentent les trois caractères précités. Avec cette distinction, l’intuition fondatrice de Claude Nicolet – qui définit les mégapoles comme des villes marquées par l’exceptionnalité, à la fois villes-­ mondes et microcosmes (Nicolet, Ilbert et Depaule, 2000, p. 16‑17) – doit toutefois être reconsidérée. En effet, les mégapoles sont ces très grandes cités qui ont survécu par-delà les flux et reflux des vagues migratoires, et leur étude relève de l’anthropologie historique car, de Babylone à Pékin et de Boukhara à Samarkand, le domaine de l’imaginaire créateur est quasiment infini et aussi varié que les économies-mondes. Eussent-elles existé, la Cité du prêtre Jean (située en Inde par Marco Polo) comme la Cité de Cuivre des Arabes (parfois signalée en Afrique) auraient relevé de la classe des « mégapoles », ces villes hors du temps que la Méditerranée illustre. Robert Ilbert En hommage à Claude Nicolet

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