Médecine | Buzzi, Serena; Ferracci, Elsa

Médecine 888 La médecine grecque est souvent présentée sous les couleurs de la seule ratio- nalité, en illustration du fameux « miracle grec ». La réalité des théories et des pratiques médicales des v e et iv e siècles av. J.‑C. révèle cependant une véritable complexité des niveaux de pensée. C’est ainsi que l’art des médecins se place sous le patronage d’Asclépios, dieu grec de la Médecine à l’époque classique ; que le Serment d’Hippocrate, encore prononcé par les médecins d’aujourd’hui sous une forme bien éloignée du texte grec originel, prend à témoin Apollon guérisseur, Asclépios, Hygie (déesse de la Santé) et Panacée (divinité « guérisseuse de tous les maux ») ; que le bref traité de la Loi emprunte le lexique des religions à mystères ; ou que le traité du Régime IV expose une théorie de l’interprétation des rêves dans un objectif de diagnostic. Quant à l’approche anthropologique des mots désignant le remède (pharmakon) ou la purification (katharmos) , elle démontre une ambiguïté dans les emplois d’un certain lexique médical, entre rationalité du soin et ritualisme du remède, du pur et de l’impur. À l’inverse, la médecine des temples, connue grâce aux récits de guérison (iamata) gravés sur des stèles de pierre et retrouvés notamment dans l’Asclépiéion d’Épidaure, offrait à ses patients des remèdes qui n’étaient pas uniquement reli- gieux : Asclépios, apparaissant en songe aux patients venus chercher la santé au temple, préconisait souvent un régime ou une médication que n’aurait pas désavoués un médecin, et parfois même il se comportait en véritable chirurgien, coupant et cautérisant. Les prêtres eux-mêmes avaient recours à la diététique et à la phlébotomie. La guérison, évidemment miraculeuse, n’en procédait pas moins parfois d’une méthode que l’on pourrait donc qualifier de « rationnelle ». Ces « empiètements », comme les qualifie G. E. R. Lloyd, témoignent de la concurrence qui existait entre les deux formes de médecine, la médecine des temples n’ayant pas été évincée par la médecine rationnelle : d’une façon qui pour- rait sembler paradoxale, elle fut particulièrement florissante au iv e siècle av. J.‑C. Ces « empiètements » posent également la question de la motivation du choix des malades, auxquels s’offraient donc deux voies de guérison ; il s’avère que les facteurs de détermination étaient multiples et qu’ils ne tenaient pas unique- ment à la gravité des affections. Ils soulignent enfin la coexistence d’une pen- sée du sacré, sinon du religieux, et d’une pensée rationnelle, voire scientifique, au sein même d’une pensée hippocratique qui n’était pas unanime sur le sujet. Pourtant, c’est bien dans les traités grecs que s’élaborent pour la première fois des conceptions pathologiques systématiques, fondées sur des théories démontrées en raison, sinon en pratique, comme celle des humeurs. Héritiers de l’esprit critique et de l’art de la discussion des présocratiques, les médecins dont nous avons conservé les traités se livrent à des démonstrations serrées sur les facteurs d’apparition des maladies et sur les meilleurs traitements à adop- ter. Avec la réflexion sur la nature (physis) et la notion de causalité, la remise

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