Martyr | Bromberger, Christian

Martyr 859 de la bienheureuse Catherine [sainte Catherine d’Alexandrie], vierge et martyre, nous t’en supplions, accorde-nous par ses mérites et son intercession de parvenir à la montagne qui est le Christ. » Dans ces fonctions d’intercession et de pro- tection, aux martyrs des premiers siècles succéderont les moines et les évêques devenus saints qui les supplanteront. En islam, certains hadiths présentent aussi les martyrs comme des intercesseurs entre les pécheurs et Allah. Par ailleurs, ces saints martyrs, par les vertus dont ils ont fait preuve, par leur perfection morale, sont des exemples (des exempla selon le vocabulaire chrétien) que l’on doit s’effor- cer de suivre – mais le paradoxe n’est-il pas que ces exemples que l’on est invité à suivre sont surhumains et quasiment inaccessibles ? La valorisation et l’« inflation apologétique du martyre », selon l’expression d’André Mandouze, le désir même du martyre chez les premiers chrétiens, procèdent d’une identification au martyr par excellence que fut le Christ sau- veur, ayant sacrifié sa vie pour le rachat des péchés. Une valorisation similaire du martyr caractérise l’islam chiite où le troisième imam, Husayn, a été mas- sacré avec les membres de sa famille à Karbala le jour de ‘âshurâ , le 10 mohar- ram 61 (10 octobre 680) par les troupes du calife omeyyade Yazîd. Le « prince des martyrs » est l’intercesseur par excellence des fidèles pour accéder au « jar- din » (paradis). Avant son supplice, Husayn aurait proclamé, selon la tradition chiite : « Voici que ce poignard va s’abattre sur ma tête. Oh ! j’en suis content ! Ô mon Dieu ! Ne manque pas de tenir toi aussi l’engagement que tu as pris. Au jour de la résurrection, pardonne à tous les pécheurs, à tous les chiites car je les rachète au prix de mon sang. » « Tous les hommes sont enfoncés dans le péché et ils n’ont pour les délivrer que le seul Husayn », lit-on également dans un texte de ta’zie (représentation théâtrale de la Passion de Husayn et des siens). La commémoration de ces martyres fondateurs, dans le christianisme comme en islam chiite, donne lieu à des rituels d’affliction de part et d’autre de la Méditerranée. C’est en terre chrétienne la semaine sainte, avec ses spectacu- laires processions de pénitents en Andalousie, ou ces cérémonies où les hommes se flagellent les mollets et les cuisses jusqu’au sang en Calabre. Dans le monde chrétien comme en islam chiite, des pièces de théâtre (mystères du Moyen Âge, ta’zie ) ont été composées pour représenter le martyre du sauveur. Cette tradition demeure vive dans les communautés chiites du Liban. Ici les fidèles pratiquent, lors des processions et des prônes qui évoquent les tragiques évé- nements fondateurs, des rituels dolorisants : ils se flagellent avec des chaînes, se frappent la poitrine avec les paumes des mains, voire se lacèrent le cuir chevelu avec un sabre. Par ces gestes, ils réactualisent la passion du martyr et expient la culpabilité des hommes qui n’ont pas porté secours au sauveur. Rituels chiites et chrétiens présentent donc un air de famille. Les histoires-mythes des deux courants religieux ont aussi des affinités : dans les deux cas, le martyre est la

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