Léon l’Africain | Zhiri, Oumelbanine

Léon l’Africain 777 leur nourriture, leurs vêtements, leurs superstitions. L’histoire des royaumes et des villes arrête l’auteur souvent longuement. Les pages consacrées à des événements récents, surtout les attaques espagnoles et portugaises sur les côtes du Maghreb, sont d’autant plus passionnantes que Léon, qui a parfois vécu ou recueilli les faits auprès de témoins, apporte des renseignements de première main. La richesse de la Descrittione trouve en partie son origine dans la culture éten- due, si ce n’est toujours approfondie, de son auteur. Ce dernier se réfère sou- vent à des écrivains de langue arabe parmi les plus illustres, comme le géographe al-Idrîsî (vers 1100‑vers 1166) et l’historien Ibn Khaldûn (1332‑1406). Léon était donc en mesure de nourrir son ouvrage, dans son contenu comme dans sa forme, de ses lectures de livres de géographie, d’histoire, de jurisprudence, de belles-lettres, voire de médecine ou de botanique. Grâce à cette abondance de sources, son texte se distingue par la variété des tons qu’il emprunte, et fran- chit ainsi les frontières qui séparent les genres et les styles, de l’anecdote plaisante au récit de bataille, et de la chronique urbaine à la rencontre de marchands avec des bandits de grand chemin. Léon écrit en Italie et s’adresse à un public européen. Il rencontre ainsi deux problèmes concernant ces sources. D’une part, il ne peut, à l’évidence, les citer que de mémoire, et parfois s’en plaint. D’autre part, ces références mêmes sont inconnues de ses lecteurs, et ne peuvent donc lui servir à asseoir son autorité d’écrivain fiable. Pour cette double raison, Léon s’appuie largement sur ses sou- venirs. De la manière la plus simple, il mentionne souvent qu’il s’est arrêté ou est passé dans telle localité, en précisant parfois la date. Dans des passages plus complexes, il s’étend sur les circonstances de ses voyages, et enrichit sa narra- tion d’anecdotes personnelles et de portraits des personnages qu’il a rencontrés. En conséquence, son texte, s’il n’est pas stricto sensu un récit viatique, appartient pourtant clairement à la littérature de voyage. C’est grâce aux longs et instructifs périples que l’auteur avait accomplis dès sa première jeunesse qu’il se trouvait, le moment venu, avoir toutes les qualités pour écrire une géographie descriptive de l’Afrique, et qu’il a été en mesure d’évoquer en détail de nombreuses agglo- mérations, importantes ou non, centrales ou périphériques. Certains passages laissent penser que Léon considérait comme une faiblesse le fait de ne pouvoir se reporter directement à ses sources livresques, et de consi- dérablement s’appuyer sur sa mémoire. Pour les lecteurs modernes, cela accroît la qualité de son livre. Celui-ci est moins dépendant des conventions du genre géographique tel que son époque le connaissait, et se nourrit souvent de l’expé- rience de son auteur. Non seulement Léon est le dépositaire d’un savoir séculaire et de la mémoire d’un pays, grâce à la connaissance des sources arabes majeures de la géographie de l’Afrique du Nord et de l’Ouest, mais son texte est aussi ancré dans son histoire singulière. Il évoque en pointillé les périples au cours

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