Industrialisation | Chastagnaret, Gérard; Raveux, Olivier

Industrialisation 701 doivent être soulignés. Le premier est celui de saut qualitatif qui permet de dis- tinguer le vrai développement de la simple prospérité conjoncturelle. Le second est celui de conditions préalables au démarrage, au nombre desquelles doivent se trouver un ou plusieurs leading sectors , appelés à jouer le rôle de moteurs de la croissance. Survenant au moment même de l’accès à l’indépendance de plu- sieurs pays naguère colonisés, y compris sur la rive sud de la Méditerranée, les affirmations de Rostow cumulèrent paradoxalement leurs effets avec ceux de l’idéologie marxiste pour soutenir la mise en place de politiques économiques aberrantes et même dangereuses, avec une aggravation de la pression fiscale sur les campagnes au nom de la nécessité de l’accumulation préalable de capital, avec également des investissements massifs dans une industrie lourde vite confrontée à des impasses, notamment de marchés. Dans le domaine historiographique, les années 1960 voient culminer la disqualification de l’industrie méditerranéenne : absence de secteur de pointe, long maintien de techniques et formes de produc- tion traditionnelles. Les activités de transformation en Méditerranée cumulent alors les images négatives : dispersion, archaïsme, fragilité et pure exploitation d’aubaines commerciales. L’industrie méditerranéenne était subordonnée aux logiques commerciales ; elle n’était porteuse ni de modernité ni de développe- ment, c’était au fond une fausse industrialisation. Une histoire en construction La crise à l’origine de nouveaux questionnements Le changement de perspective survient à la faveur du premier choc pétrolier, de 1973. À défaut d’être immédiates, les conséquences de celui-ci sont déjà lourdes et durables : les fermetures d’usines, la dépression tenace de plusieurs des grands bassins « historiques » de l’industrialisation européenne conduisent dès lors à s’interroger sur le rôle de l’industrie dans l’emploi et sur le caractère irréver- sible du développement. Par ailleurs, les trois secteurs triomphants du xix e et de la première moitié du xx e siècle, le textile, la houille et la sidérurgie, sont les plus affectés par les difficultés, alors même que les industries liées à l’agroalimen- taire ou productrices de biens de consommation résistent mieux et contribuent à des prospérités régionales ou locales. Enfin, la crise des années 1970 et 1980 affecta plus les grandes usines que les unités petites ou moyennes. Ainsi se trou- vait ouverte la voie à une inversion des normes de lecture dans trois domaines : l’industrie comme base du développement, les secteurs de pointe et les struc- tures de production. Dans les milieux de la recherche en sciences humaines et sociales, la crise eut une forte valeur heuristique et contribua de fait à la libération de la pensée

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