Industrialisation | Chastagnaret, Gérard; Raveux, Olivier

Industrialisation 700 Les logiques de la cécité : une double normalisation Pourquoi cette longue méconnaissance, qui a frappé notamment l’historiographie française, alors même que la côte provençale, de Marseille à La Seyne, fut durant des décennies l’un des principaux centres français et même européens pour la construction navale, la mécanique et la métallurgie des non-ferreux ? L’historien ne saurait se satisfaire d’imputer le phénomène à l’inculture historique des éco- nomistes et des politiques : derrière des affirmations parfois hasardeuses se dissi- mulent, en fait, les propres carences d’une recherche historique qui a longtemps tardé, en France, mais aussi en Espagne et en Italie, à construire de manière pertinente l’industrialisation de la Méditerranée comme objet historique auto- nome, parce qu’elle est restée longtemps soumise à une double normalisation. La norme des historiens : la révolution industrielle britannique La croissance industrielle britannique à partir de la fin du xviii e siècle a fasciné les historiens au point d’être constituée, implicitement ou non, en modèle, en paradigme à l’aune duquel devaient s’apprécier toutes les autres expériences indus- trielles nationales ou régionales. D’où des lectures dépréciatives de l’industriali- sation, en Méditerranée, mais aussi en France. Rondo Cameron (1938), Arthur Dunham (1953), et Charles Kindleberger (1964) sont parmi les principaux repré- sentants d’un courant dont la figure la plus emblématique reste David Landes (1949, 1969), autant par la longévité de son engagement en ce sens que par la vigueur de sa pensée. Se trouvaient spécialement valorisés les innovations tech- niques, les changements dans l’organisation de la production, avec l’apparition de grandes fabriques, ainsi que le rôle moteur de certains secteurs : le textile-­ coton, le charbon et la sidérurgie. L’industrie était porteuse de développement conçu comme progrès irréversible, si elle s’accompagnait de changements qua- litatifs dans ces trois domaines : secteurs, techniques, structures. La normalisation de l’histoire par l’économie : les étapes de la croissance économique En 1960, l’ouvrage célèbre de W. W. Rostow, The Stages of the Economic Growth , apporta à ces bases tout le crédit de la science économique. Sans réellement inno- ver, l’économiste américain donna une formalisation théorique claire et efficace à un ensemble d’idées transformé ainsi en un système idéologique apparemment cohérent. C’est ainsi que la réussite de tout processus d’industrialisation suppose le passage par un certain nombre d’étapes successives, dont la plus connue est celle du take off , le démarrage. Deux des concepts de base de la théorie de Rostow

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