Frontière | Cattaruzza, Amaël; Sintès, Pierre

Frontière 572 l’« intérieur », entre l’« étranger » et le « familier ». De plus, les frontières, en tant que « narrations territoriales », peuvent se détacher de l’État, pour n’être plus, dans les discours nationalistes, qu’une projection fantasmatique délimitée sur une carte. Cette projection, suivant la prégnance du discours sur les popu- lations, peut devenir une revendication plus ou moins violente, qui fragilise de fait les frontières étatiques existantes. Des exemples de litiges frontaliers méditerranéens sur terre… Cette dynamique identitaire de la frontière a motivé, et motive encore, de nom- breux litiges en Méditerranée. Les conflits yougoslaves des années 1990 et 2000 ont ainsi illustré de manière violente la dimension discursive des frontières, alors que sont réapparus au moment de l’éclatement de la fédération titiste les fan- tasmes cartographiques d’une « grande Serbie », d’une « grande Croatie » ou encore d’une « grande Albanie ». Les cartes de ces territoires étaient souvent dif- fusées et instrumentalisées par les partis nationalistes pour justifier les conflits et de nouvelles conquêtes territoriales. Cette vieille conception d’un État-nation « pur », reposant sur un territoire historique, une nation unique et des frontières, a donné lieu à la pratique terrible du nettoyage ethnique, dans les régions où la mixité des populations ne permettait pas aux partis nationalistes de s’appuyer sur un groupe ethnique majoritaire. Pour éviter une inflation des conflits territoriaux dans la région, la commis- sion Badinter, commanditée alors par la Communauté européenne, proposait en 1992 de s’appuyer sur les tracés frontaliers des républiques de l’ancienne fédéra- tion titiste pour les nouveaux pays ex-yougoslaves, et de ne reconnaître aucune modification de frontière. Cette règle a conduit à la reconnaissance de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de la république de Macédoine, du Monténégro et de la Serbie. La reconnaissance par un certain nombre d’États du Kosovo a été la seule entorse à cette idée, puisque celui-ci n’existait auparavant que sous forme de région administrative au sein de la Serbie. Ses frontières sont, par ailleurs, toujours contestées par la Serbie. La question de la définition, de la délimitation et de la sécurisation des frontières terrestres reste ainsi l’un des principaux facteurs de tensions, voire de conflits pour de nombreuses régions en Méditerranée. Malheureusement, les exemples de telles dynamiques conflictuelles sont nombreux et aboutissent souvent à des frontières fermées et/ou militarisées (frontières israélo-libanaise, israélo-syrienne, israélo-jordanienne, israélo-égyptienne, gréco-turque, algéro-­ marocaine, etc.).

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