Frontière | Cattaruzza, Amaël; Sintès, Pierre

Frontière 569 ottoman et l’Empire des Habsbourg). Dans le cas de l’Albanie, les tracés fron- taliers ont été décidés par les puissances européennes au lendemain des guerres balkaniques entre 1912 et 1913, après que celles-là se sont entendues lors du traité de Londres pour créer une Albanie indépendante. La définition de ses frontières est néanmoins difficile car elle s’oppose aux ambitions des jeunes États voisins (Monténégro, Serbie et Grèce). Elles ne sont complètement fixées qu’en mai 1921, laissant hors du territoire du nouvel État plus de la moitié des popu- lations albanaises des Balkans. En revanche, les frontières des rives méridionales et orientales de la Méditerranée sont pour l’essentiel des frontières pensées et tracées de l’extérieur par le colonisateur. Elles sont donc pour la plupart d’origine intra- ou inter­ impériale. Michel Foucher évoque cependant, pour ce qui est du continent africain, trois autres types d’orogenèse ayant joué un rôle moindre mais qui apparaissent ponctuellement : les frontières dites « turques », héritées de l’ancien Empire ottoman – qui restent quelquefois prégnantes dans les pays du Maghreb et de la moitié orientale du Sahara –, les frontières « européo-africaines », dont le tracé a fait l’objet d’une redéfinition par les acteurs locaux, à la suite de divers processus géopolitiques (comme en Égypte), et les frontières « afro-africaines », dont le tracé a été effectué après les indépendances, type qui reste marginal dans le cas des pays méditerranéens. Le cas du Proche-Orient est en partie spécifique. Si l’histoire officielle retient les accords secrets de Sykes-Picot de mai 1916 entre la France et la Grande- Bretagne comme l’un des actes majeurs à l’origine des frontières actuelles, la réa- lité est sans doute plus nuancée. En effet, ces accords, avec l’aval des Russes et des Italiens, avaient pour but de définir des zones d’influence, face aux revendications ottomanes dans la région, avec un partage de fait entre des zones arabes et des zones sous administrations française ou britannique. Ce partage est à l’origine de revendications durables dans la région (par exemple, le Sandjak d’Alexandrette pour la Syrie). Cependant, les frontières qu’ils imaginaient n’ont jamais vérita- blement existé en l’état, et ont été très vite modifiées sous l’influence de la riva- lité franco-anglaise, du sursaut national turc (la Turquie de Mustapha Kemal obtient, avec le traité de Lausanne de 1923, des modifications frontalières à son avantage) et de l’éveil arabe. À quoi servent les frontières ? Les fonctions des frontières sont diverses. Leur rôle administratif est sans doute le plus évident et le plus visible. Le géographe Claude Raffestin remarquait ainsi que la frontière politique remplit essentiellement trois fonctions : une fonction

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