Expédition d’Égypte | Bret, Patrice

Expédition d’Égypte 512 « Grande Nation » l’accès à l’Adriatique, après avoir détruit les vieilles répu- bliques oligarchiques de Gênes et de Venise, qui partageaient naguère avec les Ottomans l’empire de la Méditerranée orientale. La paix de Campo Formio avec l’Autriche (octobre 1797) rend la situation internationale plus favorable que jamais à la réalisation du projet égyptien. Désormais isolée, la Grande-Bretagne vit dans la crainte d’un débarquement sur ses côtes. En France, le gouvernement du Directoire est largement discrédité, combattu à la fois par les royalistes et par les néo-Jacobins, et menacé par la popularité crois- sante de Bonaparte. Mais le général ne juge pas la situation politique française assez mûre pour ses propres ambitions politiques. Nommé à la tête de l’armée d’Angleterre, il comprend vite que le débarquement outre-Manche est irréaliste. Plutôt que de se déconsidérer par une vaine tentative, il propose de menacer la puissance anglaise dans son commerce avec l’Inde. Il en a longuement mûri le projet l’été précédent en Italie, tant dans sa correspondance avec Talleyrand, le nouveau ministre des Relations extérieures, que de vive voix avec le mathéma- ticien et ancien ministre de la Marine Monge, qui a demandé à l’amiral Rosily un mémoire « sur la question de savoir s’il serait avantageux pour la République française de rétablir le commerce avec l’Inde par la mer Rouge et l’Égypte ». Dès février 1798, il assure que la lutte contre Londres doit passer par l’Égypte et, avec l’appui de Talleyrand, il emporte bientôt la décision du gouvernement. Sous Louis XVI, le ministre des Affaires étrangères Vergennes misait sur le renforcement de l’alliance avec la Turquie, traditionnelle depuis François I er et Soliman le Magnifique, et s’efforça d’aider à la modernisation de l’armée et de la marine ottomane par l’envoi d’experts militaires. Mais, sans remonter au projet que Leibniz avait soumis à Louis XIV, de multiples plans d’intervention furent élaborés depuis les années 1760 jusqu’au Directoire – par des consuls en Égypte (Magallon), par des drogmans (Venture de Paradis) ou par des officiers en mission (Tott, Lazowski) – et soutenus par maints ministres (Choiseul et Sartine avant Talleyrand) et ambassadeurs à Constantinople (Saint-Priest, Choiseul-Gouffier). Les intérêts économiques allaient dans le même sens. Dans les années 1780, le puissant négociant protestant et Vénérable d’une loge marseillaise Jacques Seymandi espérait dérouter vers Marseille, via Suez, un fructueux commerce avec l’Inde. L’instabilité de l’Égypte ne permit pas de donner une réalité aux fragiles accords conclus en ce sens avec les beys. Une décennie plus tard, dans le contexte des guerres révolutionnaires, seule l’occupation du pays pouvait per- mettre de porter un coup fatal à la puissance anglaise, qui contrôlait totalement la route circumafricaine depuis l’occupation de la colonie hollandaise du Cap en 1795. Un fait nouveau prêchait encore davantage en faveur de l’occupation : la perte des colonies à sucre des Antilles, fondées sur le travail servile, que les Amis des noirs et les auteurs de la Décade philosophique voulaient remplacer par

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