Épices | Bammi, Jamal

Épices 491 ainsi que le montrent la puissance économique et le prestige qu’avaient su s’as- surer les grands négociants en épices de l’époque mamelouke, les Kârimî, dont l’activité s’étendait du Maghreb à la Chine (Raymond, 1988, p. 115). À la fin du xv e siècle, les Portugais lancèrent les grandes explorations : Henri de Portugal, dit le Navigateur, fit systématiquement des expéditions le long de la côte africaine et accumula les informations géographiques ou pratiques sur la route des Indes. En 1498, Vasco de Gama passe le cap de Bonne-Espérance et parvient à Calicut après avoir contourné l’Afrique. Survient ensuite l’arrivée des Portugais en Chine et au Japon, et leur installation au-delà du détroit de Malacca. Magellan, parti en 1519 pour son tour du monde, fait escale aux Moluques et ne manque pas de faire provision de muscade et de girofle. Désormais, les nouveaux découvreurs vont aller chercher des épices. Tout l’Ancien Monde est maintenant accessible et connu. La route des épices vient quant à elle de connaître un renouveau décisif. André Raymond (1988) démontre que la découverte de la route du Cap (1498), la pénétration des Portugais dans l’océan Indien et le détournement des grandes routes commerciales, qui en résulta, ne firent qu’aggraver un déclin déjà amorcé du grand commerce oriental des épices, dont Le Caire était le centre, sans pour autant provoquer une interruption brusque et complète. Le commerce des épices se maintint sous les Ottomans et continua, à un niveau sans doute plus modeste, à contribuer à la prospérité commerciale du Caire (Raymond, 1974) ; cet essor se fera nettement sentir à Istanbul grâce aux échanges avec l’Égypte jusqu’au xviii e siècle. Plusieurs corps de métiers sont directement intéressés à l’exploita- tion de ce commerce. Toutefois, à la base de tout le système, apparaissent les droguistes et épiciers ou attar , installés pour la plupart au Misir Carsisi, marché égyptien d’Eminönü. Ce fameux bazar était destiné aux marchandises du Caire, et principalement aux drogues et aux épices (Eldem, 1988). Toute cette riche histoire des épices que nous avons essayé d’esquisser allait de pair avec une évolution de l’alimentation méditerranéenne dans laquelle les épices tenaient une place de choix. L’histoire de la « route des épices » s’avère parfaitement parallèle à la contribution progressive des épices dans la table médi- terranéenne… Certes, cette histoire concorde avec l’intérêt porté à ces produits durant l’Antiquité et le Moyen Âge, et se maintient jusqu’au début du xx e siècle, avec plus ou moins de remaniements inhérents à la géographie culturelle. Peterson (1980) fait justice, une fois pour toutes, des vieilles idées reçues qui traînent çà et là, et selon lesquelles les pauvres queux de ces temps « bar- bares » auraient été contraints de combattre, par des amoncellements incroyables d’épices, la mauvaise qualité, voire l’état de putréfaction avancée de leurs viandes (Peterson, 1980, cité par Laurioux, 1983).

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=