Empires coloniaux | Rappas, Alexis

Empires coloniaux 474 la Russie impériale. Ce que l’historiographie a appelé la « question d’Orient » recouvre précisément les rivalités diplomatiques et militaires entre puissances européennes autour de la maîtrise des régions de la Méditerranée orientale dont le contrôle échappe graduellement à la Sublime Porte. Troisièmement, les guerres napoléoniennes (1797‑1815) aiguisent les rivalités interimpériales européennes en Méditerranée, et leur importance est capitale, du point de vue tant géopolitique qu’idéologique. Au niveau géopolitique, elles renforcent la position de la Grande-Bretagne dont l’occupation de Malte (jusqu’en 1964) et des îles Ioniennes (jusqu’en 1864) est officialisée par le traité de Paris (1814). Sur le plan idéologique, c’est avec la campagne de Napoléon Bonaparte en Égypte en 1798 que se développe un discours officiel, scientifique et littéraire qui vient justifier l’expansion européenne en Méditerranée au nom de la diffu- sion, parmi des sociétés considérées comme décadentes (Égypte) ou barbares (régences d’Afrique du Nord), de la civilisation et des Lumières dont l’Europe prétend être la seule détentrice. Ainsi, si la Description de l’Égypte (1809‑1828) publiée par la commission des scientifiques qui avaient accompagné Bonaparte fait encore autorité en égyptologie, elle alimente également la prétention d’un savoir total sur l’Orient, les « Orientaux », leur histoire et leur culture. À cet « orientalisme », qui informera profondément les politiques et les institutions établies par les futures puissances coloniales, s’allient toute une imagerie et une grammaire inspirées de la Rome antique, seul empire ayant réalisé l’unité poli- tique de l’ensemble du bassin méditerranéen et, à ce titre, horizon indépassable des ambitions impériales européennes. La territorialisation des empires européens en Méditerranée, c’est-à-dire l’occupation effective (ou colonisation) des rives sud et est de cette dernière, s’effectue en trois temps à partir du milieu du xix e siècle : la longue et brutale conquête française de l’Algérie (1830‑1847) représente une première phase, isolée chronologiquement mais importante pour son impact sur les politiques coloniales poursuivies dans l’ensemble du bassin méditerranéen ; l’intensifi- cation des rivalités impériales dans le dernier tiers du xix e siècle, en particu- lier entre la France républicaine, la Grande-Bretagne victorienne, l’Allemagne wilhelmienne et, enfin, l’Italie giolittienne, constitue une deuxième phase et aboutit à l’établissement des protectorats français en Tunisie et au Maroc (1881 et 1912) et d’un petit protectorat espagnol au nord du Maroc (1912), l’occu- pation britannique de Chypre (1878) puis de l’Égypte (1882) et la conquête italienne de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque (1911) ; enfin, dans le cadre du long règlement de la Première Guerre mondiale (1919‑1923), la nouvelle Société des Nations attribue le contrôle des anciennes provinces entre autres méditerranéennes de l’Empire ottoman à la France (Syrie, Liban, Hatay) et à la Grande-Bretagne (Palestine).

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