Eau (ressources et usages) | Lazarev, Grigori

Eau 403 que l’irrigation moderne s’est imposée dans les plaines et les vallées médi- terranéennes de l’Europe. Au sud de la Méditerranée, l’agriculture pluviale n’est possible que dans des franges climatiques plus ou moins larges, dans certaines plaines et collines du Maghreb et du Moyen-Orient. Hors de ces limites, l’agriculture n’est possible qu’avec l’irrigation ; à cette contrainte on doit dans les pays du Sud une culture de l’eau, qui avait moins de raisons d’être dans les pays de la rive nord. Cette culture est en fait liée à la naissance de l’agriculture dans la Mésopotamie néo- lithique, puis au développement des premières civilisations étatiques, à Sumer et en Égypte (le fameux « despotisme hydraulique »). Les traces archéologiques montrent que des technologies très complexes furent développées pour maî- triser les eaux et les répartir entre les parcelles de culture. Mais elles montrent aussi que la surexploitation des terres irriguées et la salinisation des sols effa- cèrent de la carte de nombreuses sociétés hydrauliques dont les réalisations sont aujourd’hui recouvertes de déserts. Grâce à leurs crues limoneuses, les systèmes d’irrigation du Nil, du Tigre et de l’Euphrate échappèrent à ces destins et sont encore aujourd’hui les héritiers de leur passé millénaire. En dehors de cette ancestralité majeure, c’est dans la diffusion des technologies hydrauliques que l’on voit le mieux apparaître la réalité d’une culture de l’eau. L’Arabie du Sud ancienne sut très tôt maîtriser la dérivation des eaux de crues. Le fameux barrage de Ma’arib en est l’illustration la plus connue mais il n’était pas le seul ouvrage de ce genre. Ce qui est frappant, c’est de retrouver les barrages de crues de l’Hadramaout, héritiers des techniques sabéennes, dans les barrages qui depuis les temps médiévaux ont irrigué le Tafilalet marocain ou irriguèrent la plaine de Kairouan. Les Romains furent des maîtres dans l’art hydraulique. En Italie, leur priorité fut d’appliquer leurs techniques pour alimenter les villes en eau potable et arroser les parcs des villae . Leurs aqueducs en sont les témoins les plus connus. Mais c’est sur le sol africain qu’ils se révélèrent des ingénieurs exceptionnels, réalisant des conduites, des citernes, des bassins, des puits, des fontaines dont les témoignages archéologiques sont d’autant plus remarquables qu’ils parsèment des espaces aujourd’hui intensément arides. Mais la culture de l’eau doit aussi énormément aux apports de la civilisation arabe sur le pourtour de la Méditerranée. Kairouan leur doit les fameux bas- sins dits des Aghlabides, l’Espagne leur doit les systèmes d’irrigation de la région de Valence (et de tant d’autres lieux aujourd’hui disparus). Les partiteurs d’ir- rigation, les mécanismes des tours d’eau, l’usage des clepsydres, les roues éléva- trices font partie d’un capital technologique que les Arabes surent diffuser en Andalousie et au Maghreb, après probablement en avoir emprunté les modèles à la Perse sassanide. L’histoire des conduites souterraines est très instructive. Ces conduites, connues en Perse sous le nom de khanat, se diffusèrent en Oman

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=